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17/10/2011

OBSERVATIONS SUR LA GOUVERNANCE DES SOCIETES ANONYMES AVEC CONSEIL D’ADMINISTRATION EN OHADA : Moniste ou Dualiste ?

Bérenger MEUKE, Docteur en Droit des Affaires, Membre des Barreaux du Cameroun et de Lyon, Chargé d'Enseignement (Université de Bamako)
&
Mamadou KONATE, Avocat et Arbitre, Associé-Fondateur de la Société d’Avocats JURIFIS CONSULT

Quelle Gouvernance des « sa » en OHADA ?

Répartir d'une façon plus claire et équitable les pouvoirs entre les différents organes de gestion et d’administration de la société anonyme (sa) est un objectif majeur qui a été pris en compte par le législateur OHADA.

Ce dernier a précisé dans les dispositions pertinentes de l’article 415 de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au Droit des Sociétés Commerciales que : « La société anonyme avec conseil d'administration est dirigée soit par un président-directeur-général, soit par un président du conseil d'administration et un directeur général ».

Une société anonyme avec Conseil d'Administration en OHADA peut donc opter entre deux modes de gestion et d’administration :

- la formule avec Président Directeur Général (mode moniste),

- ou la dissociation des fonctions de Directeur Général et de ceux de Président du Conseil d'administration (mode dual).

Dans le premier mode de direction, le Président du Conseil d'Administration cumule ses fonctions avec celles de Directeur Général : c’est « la gouvernance réunie ». Il détient donc, à côté de ses fonctions de Président du Conseil d'administration, les pouvoirs et les responsabilités du Directeur Général. C’est la raison pour laquelle le législateur aurait d’ailleurs conservé l'appellation de "Président Directeur Général".

Dans le second mode de direction, la direction générale de la société (la gestion quotidienne) est confiée au Directeur Général, tout en conservant un contrepoids dans la personne du Président du Conseil d'Administration qui représente les actionnaires : c’est « la gouvernance dissociée ».

Contrairement au premier mode de direction, dans le second, le Directeur Général est le véritable chef d'entreprise. A ce titre, il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société en même temps qu’il dispose du pouvoir de décision et d'action pour le compte de la société, dans la limite de son objet social. Ce dernier représente la société notamment dans ses rapports avec les tiers et en est donc le représentant légal. D’un point de vue pratique, la société peut même être engagée par ses actes qui ne relèvent pas de l'objet social conformément aux dispositions de l’article 488 de l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au Droit des Sociétés Commerciales.

Dans le même temps, les pouvoirs du Président du Conseil d'Administration sont limités en ce qu’il représente le Conseil d'Administration, organise et dirige les travaux de celui-ci. Il a donc simplement un rôle de représentation et d'organisation du Conseil d'Administration, et ne représente pas la société dans ses rapports avec les tiers.

Si à la réalité, plusieurs raisons ont amené certaines entreprises opérant dans les territoires OHADA à faire le choix d’une gouvernance du mode dual (I), force est de constater que ce choix est à l’origine de dissensions qui surviennent de plus en plus entre les parties prenantes à la chose sociale (stakeholders), ce qui pourrait finir par aboutir à une restauration de la gouvernance par mode moniste (II).

I- DES RAISONS DU CHOIX DE LA FORMULE DUALE (PCA et DG)

La formule de gouvernance avec Président Directeur Général est généralement critiquée pour sa concentration des pouvoirs dans l’entreprise entre les mains d’une seule et même personne : le directeur général. C’est lui qui gère la société au quotidien et préside en même temps le Conseil d’Administration chargé lui aussi de contrôler de façon collégiale cette gestion.

C’est pour cette unique raison que le législateur de l’OHADA a introduit une seconde formule de gouvernance qui dissocie les fonctions de Directeur Général et celles de Président du Conseil d'Administration.

Mais à la réalité, le législateur de l’OHADA n’a fait que suivre presque automatiquement celui français de 1966.

Il est aujourd’hui avéré, ce, même en France aujourd’hui que, l’adoption fréquente d’une formule duale (PCA et DG) n’est que très souvent conjoncturelle.

Elle ne s’explique presque exclusivement que par la possibilité offerte au PDG de se retirer de manière progressive et en deux temps, d’abord de la seule direction générale, puis, quelques années ensuite, de la présidence du Conseil d’Administration.

Le choix de cette formule duale ne trouve alors de justifications que dans la possibilité qu’il offre d’assurer une bien meilleure préparation de la succession du PDG.

Ce mode de gouvernance à deux têtes qui à la réalité n’est que structurel ne se compte même en France que dans des cas assez limités et on peut citer par exemple :

Les entreprises particulières du CAC 40 ou les sociétés transnationales qui ont fait le choix de relever du droit néerlandais en implantant leur siège aux Pays-Bas où ce mode de gouvernance est obligatoire, c’est par exemple le cas de EADS ou de ST Microelectronics.

Les entreprises issues de fusions binationales qui ont fait également le choix de cette formule duale en ce qu’elle leur permet un partage des pouvoirs (le PCA relevant d’un pays et le DG de l’autre), c’est par exemple le cas de Dexia aujourd’hui en difficulté ou encore de Unibail-Rodamco.

Les entreprises sous contrôle familial ou mutualiste où la direction est confiée à des managers sous la surveillance des héritiers comme Peugeot SA ou Publicis ou à des coopérateurs dans le cas du Crédit Agricole.

II- DE LA RESTAURATION DE LA FORMULE MONISTE (PDG)

Le Choix de la formule duale sus évoquée (PCA et DG) ne s’explique donc que par l’arrivée de plusieurs successions (généralement familiales) en deux temps à leur terme à la tête des grandes entreprises.

D’ailleurs, la solution de plus en plus adoptée même en France est celle d’une re-concentration des pouvoirs de direction au profit du Directeur Général en place qui est de plus en plus promu PDG.

Ce fût le cas chez Air liquide, AXA, Lafarge, Mc Donald’s, BP, Renault, Saint-Gobain ou Total.

D’ailleurs, dans d’autres entreprises comme BNP-Paribas, L’Oréal ou Schneider Electric, des évolutions semblables sont à prévoir.

Il ne se trouve donc pas beaucoup d’entreprises même à l’échelle internationale où, en dehors des cas particuliers mentionnés plus haut (succession, restructuration), le système dual se serait imposé durablement.

Dans les sociétés anonymes avec conseil d’administration de l’espace OHADA, l’on rencontre de plus en plus des situations de mésintelligence, grave, entre mandataires sociaux dans le cadre de la gouvernance duale, lesquelles finissent par mettre en péril la survie même de l’entreprise, de l’exploitation voire de l’activité économique.

Formule moniste ou duale ?

Telle qu’elle est prévue par l’Acte Uniforme de l’OHADA relatif au Droit des Sociétés Commerciales, notamment en ses articles 477 et suivants, la gouvernance en mode dual a l’avantage de déconcentrer la direction de la société en répartissant tous les pouvoirs entre le Conseil d’Administration, le Président du Conseil d’Administration et le Directeur Général. Cette formule présente l’inconvénient majeur décrié de plus en plus, de disperser les organes de prise de décisions en créant au passage une confusion des rôles entre ces trois organes pourtant bien différents.

Même s’il est avéré que le législateur de l’OHADA a pris bon soin de déterminer les pouvoirs respectifs de chacun de ces organes, force est de constater que dans la pratique, plusieurs difficultés surviennent généralement en raison notamment de la frontière, en définitive, très peu tenue entre les rôles et missions de chacun d’eux.

A titre d’exemple, en précisant à son article 480 que le Président du Conseil d’Administration a pour mission principale de veiller à ce que le Conseil d’Administration assume le contrôle de la gestion sociale confiée au Directeur Général, l’Acte Uniforme susvisé n’établit pas avec netteté les pouvoirs dévolus à chacun de ces trois organes.

S’il est constant que la gestion sociale est confiée au Directeur Général, on comprend de façon malaisée le rôle du Président du Conseil d’Administration qui, à la réalité, pour assurer sa mission de contrôle de la gestion faite par le premier organe, pourrait empiéter sur les pouvoirs dévolus à ce dernier.

Mieux, dans ce mode de gouvernance, le Directeur Général, même s’il est un mandataire social, n’est, le plus souvent pas un actionnaire de la société, mais simplement un manager, un dirigeant qui tient ses pouvoirs non pas des actionnaires mais de la loi, toute chose qui n’est pas de nature à faciliter ses rapports avec l’actionnariat.

La doctrine actuelle est d’ailleurs confrontée à un sérieux problème pour classer ou déterminer le statut juridique du Directeur Général. Ce dernier n’a pas la qualité de commerçant même s’il est assujetti à certains effets qui découlent de cette qualité. Est-il salarié de la société ? La réponse est, qu’il ne l’est pas dans la mesure où il ne bénéficie d’aucune mesure de protection et peut selon les dispositions de l’article 492 de l’Acte Uniforme susvisé être révoqué à tout moment, ad nutum par le Conseil d’Administration.

Le Directeur Général est donc un organe de la société, pour la simple raison que ses pouvoirs relèveraient de la loi et non d’un mandat conféré par les actionnaires. Cette qualification est sans doute discutable puisque l’existence d’une réglementation d’ordre public ne suffit pas à exclure la qualification de contrat.

S’agissant en revanche des relations du Directeur Général avec les actionnaires, on continue de le qualifier de mandataire social pour justifier sa révocabilité et sa responsabilité à leur égard.

Dès lors, l’on peut conclure qu’avec la législation issue de l’OHADA, le statut juridique du Directeur Général est plus qu’incertain. Il est d’autant plus mitigé qu’il est en proie à des confusions volontaires ou involontaires, les prérogatives dévolues au Président du Conseil d’Administration et à ceux toujours reconnues au Conseil d’Administration.

L’une des solutions à ces difficultés du système de gouvernance dissocié serait le choix de l’option de la gouvernance réunie prévue à l’article 462 de l’Acte Uniforme susvisé.

En effet, le cumul des fonctions ressortissant de la gouvernance en mode moniste sur la tête du seul Président Directeur Général, permet à ce dernier de disposer des pouvoirs les plus étendus : en sa qualité de directeur général pour assurer la direction opérationnelle de la société en même temps qu’en sa qualité de Président du Conseil d'Administration, il supervise l'établissement des grandes orientations dans la direction de la société et conserve le pouvoir d'engager la société vis-à-vis des tiers dans l'intérêt de la société et dans la limite de l'objet social.

Cette seconde formule a donc l’avantage de rassurer l’actionnariat et les tiers en ce qu’elle permet d’éviter la confusion des prérogatives qui pourraient exister en cas de multiplications d’organes de direction comme c’est le cas avec la gouvernance en mode dual.

Le législateur OHADA devrait intervenir pour, au nom de l’intérêt social, mettre plus ou moins fin à cette liberté contractuelle dans le choix des modes de gouvernance, en fixant les conditions qui devraient précéder l’option moniste et l’option duale ? Certes, les pratiques erratiques adoptées par les entreprises font un peu désordre... Faut-il voir dans cette restauration des PDG l’expression d’un échec de la gouvernance dissociée ?

À vrai dire, la supériorité formelle de la gouvernance duale reste à démontrer, tout dépend des rapports de force internes.

Autant la gouvernance duale peut permettre une dissociation des pouvoirs de direction, autant elle peut aboutir de par les rapports de force qui naissent très souvent entre le Directeur Général et l’actionnariat, à une paralysie de la gestion sociale et partant à la chute de l’entreprise.

Au-delà de ces « petits arrangements entre amis », c’est aussi la vaste question du contrôle social de la société par l’ensemble de ses parties prenantes (stakeholders) qui est posée.