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12/04/2010

QUINZE ANNEES DE PRATIQUE DE L’OHADA : Un bilan mitigé

QUINZE ANNEES DE PRATIQUE DE L’OHADA :
« UN BILAN MITIGE »

Le traité de Port Louis qui a mis en place l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA) entendait mettre en place un droit harmonisé des activités économiques, simple, moderne afin de faciliter l’activité des entreprises et redonner confiance aux investisseurs.

L’objectif avoué est la sécurité juridique et judiciaire.

Plus de 15 années après leur mise en application, on peut se poser la question de savoir si ces objectifs ont été atteints.

En effet, il est impératif de dresser un bilan qui permettra de faire la lumière sur les aspects les mieux assimilés et de s’interroger sur les correctifs à apporter pour remédier aux insuffisances et autres difficultés.

Pour ce faire, il faut analyser les normes juridiques produites par l’OHADA.

I- DES REUSSITES

L’OHADA est un exemple de convergence juridique, géographique et même politique.
C’est un outil de gestion juridique et judiciaire tellement moderne et avant-gardiste qu’il n’est pas étonnant que les occidentaux souhaitent désormais s’en inspirer.

Il s’agit avant tout d’un modèle pour les autres régions du monde (exemple de la Caraïbe avec l’OHADAC).

La réussite de l’OHADA se manifeste aujourd’hui par l’usage dans les Etats membres, d’un droit commun (A) et d’une justice commune (B).

A) UN DROIT COMMUN

1) L’intégration juridique de l’ensemble des Etats membres est une réalité

- Avec la participation de plus en plus nombreuses d’Etats francophones (cas de la RDC), lusophones et bientôt même anglophones (cas du Nigéria) ;

2) L’usage dans l’espace communautaire d’un droit unique

- Avec la possibilité pour les investisseurs dans les groupes de sociétés et les holdings de ne pas se voir appliquer des législations divergentes en fonction des pays où ils s’installent ;

3) La modernisation des règles de droit

- Avec aujourd’hui les mêmes conditions de création et de fonctionnement des entreprises dans les Etats membres au travers de l’Acte Uniforme sur les Sociétés Commerciales et le GIE ;
- Avec la prise en compte des réalités des commerçants au travers de l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général ;

- Avec le renforcement du crédit de l’entreprise au travers de l’Acte Uniforme relatif aux Sûretés ;

- Avec la prise en compte des difficultés des entreprises avec l’Acte Uniforme sur les Procédures Collectives d’Apurement du Passif ;

- Avec la possibilité pour les créanciers de pouvoir se faire payer grâce à l’Acte Uniforme relatif aux Procédures Simplifiées de Recouvrement et Voies d’Exécution;

- Avec l’harmonisation de la comptabilité aux normes comptables internationales au travers de l’Acte Uniforme portant organisation et harmonisation des Comptabilités des Entreprises) ;

- Avec l’encadrement juridique de la libre circulation des personnes et des biens au travers de l’Acte Uniforme relatif aux Contrats de Transport de Marchandises par Route.

B) UNE JUSTICE COMMUNE

1) La possibilité pour les plaideurs de saisir une juridiction suprême complètement autonome

- Avec la CCJA qui est le juge commun en fait et en droit, complètement à l’abri des pressions des différents Etats membres ;

- Cette juridiction inter-étatique a pour mission de parvenir à la cohérence et l’unité du droit OHADA (question d’interprétation dans les divers Etats) ;

- Cependant, l’intervention de la CCJA soulève des questions de souveraineté et d’efficacité ;

2) L’institution de l’arbitrage de la CCJA

- L’arbitrage est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes décident de confier à un tiers (arbitre) le soin de régler leurs différends présents ou futurs. Cette convention peut intervenir à deux moments distincts ;

- Le règlement d'arbitrage de la CCJA confère à cette juridiction communautaire une compétence vraiment originale en la matière ;
- La possibilité est dorénavant donnée aux plaideurs d’éviter les lenteurs de la justice étatique ;

3) La création d’un centre de formation professionnel de haut niveau (ERSUMA)

- L’ERSUMA a pour principale mission d’assurer une formation de haut niveau aux magistrats et à d’autres professionnels tels que les avocats, notaires, huissiers et greffiers ;

- L’objectif est de donner à ces professionnels de solides connaissances en droit des affaires, afin de permettre à terme l’application efficace et uniforme du droit harmonisé par les différentes juridictions nationales.

II- DES INSUFFISANCES

Comme tout grand projet, si le modèle OHADA est une réussite pour la sous région, sa mise en œuvre n’est pas sans difficulté.

Les difficultés rencontrées sont pour la plupart en rapport soit avec la production des normes, soit avec leur application.

A) DIFFICULTES LIEES A LA PRODUCTION DES NORMES LEGISLATIVES
1) L’OHADA doit coexister avec d’autres législations communautaires

- L’Union Africaine a dénombré 14 Structures « pertinentes » considérées comme des communautés économiques régionales (UEMOA, CEDEAO, CEMAC, OAPI, CIMA, CIPRES…) ;

- A l’évidence, il apparaît que la diversité des organisations régionales dans une même zone géographique induit une situation de concurrence dans l’élaboration des normes et dans leur application, un risque de conflit de compétence juridictionnelle ;

- Il y a un risque réel de conflit positif (chevauchement de normes) ou de conflit négatif (abstention dans la production des normes) ;

- Il serait donc souhaitable que les acteurs passent préalablement par des concertations et qu’on aboutisse à une coopération entre les différentes juridictions.

2) L’inexistence de sanctions

- L’inobservation des règles édictées par les différents Actes Uniformes est frappée de sanction ;

- Or, le législateur OHADA a laissé le soin à chaque Etat de fixer les sanctions encourues en cas de contravention s’agissant par exemple de la matière du droit des sociétés ;

- Dans plusieurs Etats, ces peines ne sont pas fixées de sorte que les contrevenants ne sont nullement inquiétés (c’est notamment dans certains pays membre, le cas des patrons voyous avec l’abus de biens sociaux)

B) DIFFICULTES LIEES A L’APPLICATION DES ACTES UNIFORMES
1) Des formes juridiques peu aptes à couvrir l’activité économique des petits entrepreneurs

- Le législateur de l’OHADA a créé plusieurs formes juridiques parmi lesquels les SA, les SARL et bien d’autres ;

- Cependant, tout un pan entier des activités économiques échappe complètement à l’application des textes de l’OHADA (c’est le cas du secteur informel avec l’économie de bazar) ;

- C’est sans doute la raison pour laquelle sera bientôt institué en OHADA, la qualité d’ « entreprenant » et « le bail à usage professionnel ».
2) La non fiabilité des informations économiques
- L’information au sein de l’espace OHADA est gérée via le Registre de Commerce et du Crédit Mobilier disponible près des greffes des Tribunaux des commerce ;

- Or, ces registres ne sont pas toujours bien renseignés par les commerçants, de sorte que qu’il est difficile, voire impossible d’obtenir des renseignements crédibles sur un commerçant ou encore une entreprise ;

- Il est d’ailleurs prévu un remplacement de ce registre (RCCM) par deux nouveaux registres : le Registre du Commerce et le Registre National des sûretés et du crédit.

3) Des procédures collectives peu adaptées
- C’est toute la législation qui gouverne les entreprises en difficultés qui mérite d’être relue ;

- Car c’est un échec de l'application judiciaire du droit des procédures collectives dans l'espace OHADA du moins s'agissant du cas de nombreux Etats membre;

- Ce texte qui est surtout destiné en OHADA à permettre à l’entreprise de pouvoir rembourser ses dettes, permet de plus en plus dans la pratique à l’entreprise de faire échec à l’action en paiement de ses créanciers.

4) Le coût de la justice encore trop elevé

- La CCJA a son siège à Abidjan de sorte qu’il est difficile pour le plaideur qui se trouve dans un autre Etat d’y avoir accès sans exposé des frais conséquents.

5) L’insécurité judiciaire grandissante

- L’ensemble des Tribunaux et Cours d’Appel de l’espace OHADA doivent appliquer convenablement les Actes Uniformes ;

- Or, le juge africain est aujourd’hui soumis à de nombreuses pressions, de sorte que n’étant ni bien formé, ni indépendant, et par conséquent peu crédible, il est tout simplement incompétent à dire le droit OHADA ;


En définitive,

Il semble qu’il faille (cf recommandations AFD-Banque Mondiale/ FIAS) :

- Améliorer les régimes du bail commercial, de la vente, de la prescription… ;
- Faciliter le passage des opérateurs du secteur informel au secteur formel par la création d’un statut d’ « entreprenant » ;
- Rendre légal et opposable l’utilisation des moyens électroniques, notamment en reconnaissant l’écrit électronique et la signature électronique ;
- Faire du Registre du commerce et du crédit mobilier un instrument moderne d’information sur l’activité économique des Etats parties en intégrant le plus grand nombre d’informations relatives aux entreprises, en organisant le droit d’accès des tiers à ces informations, et en permettant l’utilisation des moyens électroniques ;
- Revoir la législation sur les procédures collectives.

Pour notre part, si l’objectif de sécurité juridique pour les entreprises et les commerçants, qui sont les premeiers utilisateurs de l’outil OHADA, est presque atteint, des efforts sont encore à fournis quant la sécurité judiciaire qui est déplorer.