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04/02/2011

L'AVOCAT FACE AU DEFI DES MUTATIONS NORMATIVES ET INSTITUTIONNELLES DU DROIT DES AFFAIRES EN OHADA

Le droit des affaires a été défini par M. PEDAMON comme « une technique de gestion et d’organisation au service de finalités économiques, sociales, politiques et culturelles de l’entreprise »[1].

Pris dans ce sens, le droit des affaires permet d’assurer la mise en place du cadre juridique des activités économiques. Les différentes réformes du droit des affaires se situent dans cette perspective.

Le droit des affaires est aujourd’hui au cœur du vaste mouvement dialectique de mondialisation, qui se traduit par le contournement des Etats et des territoires mais aussi par le renforcement des traits et des cultures propres à chaque nation dont les systèmes juridiques constituent l’une des manifestations majeures.

Il faut rappeler que les cycles de l’évolution du droit des affaires sont particulièrement longs dans tous les pays du monde et cela est sans doute encore plus vrai en Afrique où le rôle du droit et de la réglementation est un facteur essentiel de tout projet à un niveau macro ou microéconomique.

La réglementation du droit des affaires est en mutation un peu partout dans le monde.

En Afrique, nous assistons depuis quelques années à un processus d'harmonisation - voire d'uniformisation - de la réglementation qui s’est solder par la mise en place du droit des affaires de l’OHADA déjà en vigueur dans 16 Etats.

C’est en prenant en compte l’évolution du droit en général et les mutations du droit des affaires en particulier, au cours des dix dernières années que l’on peut raisonnablement imaginer les défis que l’avocat d’aujourd’hui doit relever.

Depuis le XXème siècle, les avocats jouent un rôle majeur dans l’émergence du droit des affaires et dans la montée en puissance des marchés.

Leur rôle a été profondément modifié par plusieurs évolutions récentes qui ont d’ailleurs entraîné une « industrialisation » du droit des affaires.

Jusque dans les années 1990, la qualité d’un chef d’entreprise africain était encore mesurée à sa capacité à comprendre et souvent à se jouer de la réglementation et du droit plutôt qu’à ses compétences en matière économique, financière ou encore de management.

Longtemps considéré par les entreprises comme un mal nécessaire qu’il fallait consulter le moins possible, plutôt que comme un bien, l’avocat est devenu de nos jours l’assistant quasi-indispensable de la majorité des entreprises.

D’ailleurs, les Etats Unis, le Japon et les pays de la communauté européenne, ont tous compris la nécessité de l’intégration de la profession d’avocats dans leurs stratégies économique et commerciale.

L’avocat n’est plus un luxe, mais une nécessité. Il est l’outil juridique indispensable dont une entreprise bien structurée ne peut se passer de nos jours.

Si le droit est aujourd’hui de plus en plus au cœur de la stratégie de l’entreprise, l’avocat est la dynamo de ce droit.

Le métier d'avocat a subi, au cours des dernières décennies, de profondes mutations dont les effets n'ont pas fini de se faire sentir. Globalisation, dérégulation, concentrations et intégrations verticales, révolution numérique et nouvelles technologies, implication croissante des avocats dans le lobbying et le conseil en stratégie des entreprises, émergence de nouvelles disciplines, sont autant de facteurs qui participent d'un processus qu'il n'est pas exagéré de qualifier de métamorphose ou de révolution culturelle.

En effet, face aux mutations économiques, technologiques et sociales auxquelles l’entreprise est quotidiennement confrontée ; face aux défis professionnels que l’entreprise souhaite relever, l’avocat est pratiquement le seul partenaire juridique valable pouvant offrir les garanties indispensables de confidentialité, de compétence, d’indépendance et de responsabilité.

Le rôle de l’avocat a évolué. Désormais plus qu’un plaideur il doit être un conseiller ouvert aux enjeux économiques des entreprises et apte à les aider à réaliser leurs objectifs. De simple spectateur, l’avocat moderne est devenu un conseiller actif et joue de plus en plus souvent un rôle décisif.

Cependant, face à la pression d'une demande de droit des affaires, toujours plus exigeante, à la multiplicité et à la complexité des sources du droit des affaires, à la multiplicité des actes uniformes issues de la reforme OHADA, à un exercice plus délicat et plus contraignant, l'avocat est plus que jamais confronté au défi de l'excellence, à l'impératif de performance, sous peine d'être en déphasage total avec le nouvel environnement juridico-économique qui se met en place.

Face aux mutations du droit des affaires, l’avocat moderne doit faire des business plan, se préoccuper de marketing comme de prix de revient et diriger une entreprise commerciale tout en veillant à perpétuer l’éthique de la profession.

Il doit identifier les risques juridiques, fiscaux, réglementaires et permettre l’optimisation des avantages attendus d’une transaction. Il devient donc un acteur aux côtés de son client, se profilant d’ailleurs comme un partenaire.Mais il doit aussi se profiler sur un marché de plus en plus ouvert et donc concurrentiel. Il s’agit d’être meilleur, plus rapide, plus créatif et moins cher ; il doit apporter par ses conseils une valeur ajoutée et trouver des solutions.

Les mutations normatives et institutionnelles du droit des affaires se sont manifestées par une reforme d’ensemble du droit des affaires en Afrique avec l’élaboration de plusieurs Actes Uniformes afin de garantir la sécurité juridique et, par la mise en place d’institutions telles que la CCJA dans l’optique de garantir la sécurité judiciaire.

Ce que le client souhaite fondamentalement obtenir aujourd’hui de son avocat c’est à la fois une aide dans ses transactions et l’assurance d’un risque juridique identifié et contrôlé.

Le client veut des solutions et non plus simplement un avis qui le laisse seul face aux décisions à prendre. L’avocat doit donc jouer un rôle de guide permettant à son client de contourner les obstacles sans risque et de réaliser ses stratégies d’entreprise.
Les acteurs du monde économique ne sont pas dépourvus d’assistance juridique et ils peuvent généralement compter sur des juristes internes ou sur une expérience pratique importante leur permettant de réduire leurs risques.

Dans ce contexte le client attend de son avocat une valeur ajoutée à sa propre analyse. L’avocat doit donc faire preuve non seulement de connaissances techniques mais aussi d’une excellente compréhension du métier de son client. Ce dernier élément implique la connaissance du secteur d’activité, des contraintes de concurrence, de l’évolution du métier et du marché, etc

L’avocat vit donc un changement inexorable et une accélération exponentielle dans la pratique de sa profession qui ne connaît pas une simple évolution, mais une véritable révolution.

L’impératif de formation - Face au défi des mutations du droit des affaires, l’avocat doit régulièrement mettre à jour l’ensemble de ses connaissances pour être à la hauteur de la mission qui lui sera confiée par son client.

En effet, la particularité du traité OHADA apparaît par l’ampleur de l’intégration communautaire qu’il propose. C’est la première fois qu’est mise en œuvre l’harmonisation des règles juridiques à l’échelle du continent.

Il ne s’agit plus seulement de consacrer la primauté du droit communautaire sur le droit national, mais de la substitution du droit communautaire au droit national ainsi qu’une institution unique de contrôle des différends. C’est donc tout l’environnement juridique et judiciaire des affaires en Afrique qui a été considérablement bouleversé.

Il revient dès lors à l’avocat de prendre la mesure de cette importante mutation en intégrant désormais cette nouvelle dimension du droit des affaires.

L’avocat d’aujourd’hui ne peut plus être un simple technicien du droit, il doit en outre comprendre les rouages de l’économie, de la finance et du management. La complexité des problématiques qui lui sont soumises nécessite qu’il ait une parfaite connaissance des instruments et des mécanismes qui soutendent l’évolution droit des affaires. Il lui revient alors d’accompagner les mutations du droit des affaires.

Pour y parvenir, l’avocat doit impérativement mettre un accent particulier sur sa formation, afin de pouvoir maîtriser au mieux les mécanismes issus des dernières évolutions du droit des affaires.

D’ailleurs, seule une parfaite connaissance et une maîtrise complète des nouvelles normes et institutions permettra de garantir une application efficace du droit des affaires.

Seule une formation adéquate et continue pourrait lui permettre de jouer le rôle qui est le sien dans la mise en place des normes qui régissent le droit des affaires et garantir aux entreprises un accompagnement approprié à leurs besoins.

La nécessité de prioriser la formation au sein de la profession d’avocat ne fait pas de doute. L’adhésion au principe de la formation est déjà la règle de plusieurs ordres professionnels et d’un grand nombre de Barreaux d’Europe et même d’Amérique.

En France par exemple, cet impératif de formation fait désormais partie des obligations mis à la charge de l’avocat, qui est tenue de justifier chaque année d’une vingtaine d’heures de formation.

Il est donc peut être venu le moment pour les différents Barreaux africains, en partenariat avec les universités, de prendre les dispositions nécessaires afin de mettre en place des cycles de formations permettant aux avocats d’acquérir très rapidement, les aptitudes nécessaires pour faire face à une branche du droit en constante évolution.

Si le débat «connaissances vs. compétences» fait rage dans les discours médiatisés, il est important de réaliser à quel point les deux sont intrinsèquement liés dans notre cas. Une grande part de notre savoir nous est acquise, par notre formation antérieure et notre expérience. Une part demeure cependant constamment à être actualisée, peaufinée, adaptée…

Il semble démontré qu’il n’y a pas d’apprentissage sans imagination et que l’intelligence, dite « fluide », opposée à l’intelligence « cristallisée », peut s’exercer à l’école. Il nous appartient donc à nous, Avocats, de mettre notre imagination au service de la conception et de la mise en œuvre de nos programmes de formation pour les adapter avec fluidité à notre très belle profession.

Il s’agira tout simplement à moyen ou long terme, de créer à l’instar de l’ERSUMA, une école capable de fournir aux avocats, l’ensemble des enseignements et formations qui pourront leur permettre d’être à la hauteur de la mission qui est la leur.

Chaque avocat devrait alors avoir accès à des formations variées, qui lui permettraient à la fois d’actualiser son savoir dans son domaine d’expertise, d’acquérir de nouvelles connaissances, d’assurer le développement de ses compétences, de confronter ses questions et ses vues avec celles d’autres participants et des formateurs, et ce, dans n’importe quel domaine droit des affaires.

Le rôle de coordinateur de l'avocat, l'interprofessionnalité et la multidisciplinarité - Face à l'inflation législative, à l'insécurité juridique (qui sévit en particulier en matière fiscale), aux évolutions de la finance, l'avocat doit mobiliser des connaissances toujours plus spécialisées et parfois faire appel à des experts.

C'est pourquoi l'avocat apparaît de nos jours comme un coordinateur, au sens le plus riche du terme comme concepteur de projet. Sa plus-value est faible s'il ne joue qu'un rôle factuel d'intermédiaire entre plusieurs sachants.

Il doit au contraire à la fois concevoir, élaborer et négocier, c'est-à-dire inventer une fonction nouvelle, pour laquelle l'avocat est particulièrement bien placé parce que, par sa culture professionnelle, il sait respecter le secret des opérations et gérer le risque du conflit d'intérêt.

Le coordinateur doit maîtriser intellectuellement le sujet mais aussi animer le groupe des différents intervenants, arbitrer entre eux et assurer le consensus. Le droit apparaît ici comme une technique d'organisation.

En effet la multidisciplinarité consiste pour un avocat ou un cabinet d’avocats à exercer sa profession aux côtés d’autres professionnels en vue d’offrir à des clients, une palette de services la plus large possible exercés de façon intégrée.

C’est donc un effet de synergie qui est recherché, fondé sur une vision commune des besoins des clients et sur une culture de groupe où chacun travaille en fonction des autres dans l’intérêt du client. Chacun des membres constitue un point d’accès aux services des autres.

Face aux mutations du droit des affaires, la multidisciplinarité c’est l’occasion unique pour l’avocat de mieux servir les clients manifestant un besoin de conseils dans des domaines variés, excédant notablement la sphère juridique, et la possibilité pour lui de servir de façon plus proactive et globale ses clients.

Etant donné que les prestations servies en droit des affaires sont élaborées "sur mesure", les risques se trouvent démultipliés et la responsabilité de l'avocat peut se trouver engagée (validité de la rédaction des actes, risques de la recherche de l'optimisation fiscale…). Dans la mesure où l'avocat a une obligation d'information et de conseil.

Des contrats d'assurance peuvent couvrir le risque de mise en cause de la responsabilité civile professionnelle de l'avocat mais il importe aussi de se prémunir en amont en procédant avant tout à un audit juridique et fiscal pour voir les difficultés et fixer les conséquences financières, en faisant ensuite intervenir des équipes pluridisciplinaires d'experts dont la mission sera définie dans une lettre de mission.

En définitive, on peut retenir tout d'abord que l’avocat ne peut donc plus faire l’économie de sa formation face au défi des mutations normatives et institutionnelles du droit des affaires.

Ensuite, cette réflexion a montré les limites, à la fois juridiques et déontologiques, de la démarche qui prévaut en droit des affaires. D'un point de vue juridique, on peut dire que les tribunaux ont évolué et que les juges, y compris ceux de la CCJA, accompagnent assez bien la créativité. La question déontologique renvoie au secret professionnel, en particulier dans le cadre d'un travail avec des professions non réglementées ; d’où les limites de l’interdisciplinarité et de la pluridisciplinarité.

Enfin, la question de la responsabilité rappelle que même si les assurances existent, elles ont cependant leurs limites et que la prudence professionnelle reste une vertu centrale.


[1] M. Pédamon, Droit commercial, Dalloz (Précis) éd. 1994, n°71 p. 59.