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16/06/2010

L’OHADA ET LES AUTRES LEGISLATIONS COMMUNAUTAIRES:UEMOA, CEMAC , CIMA, OAPI, CIPRES etc.

Mamadou I. KONATE
Avocat Associé
JURIFIS CONSULT


La création d’organisations de dimensions régionales ou sous régionales s’est accrue ces derniers temps, avec à la clé, un foisonnement qui mérite que l’on s’y attarde quelque peu.

Dès les lendemains de la seconde guerre mondiale, l’idée d’intégration africaine était perceptible dans les revendications politiques et philosophiques telles que exprimées par le mouvement de la « négritude » qui prônait le retour aux sources et au panafricanisme. Dès les premières heures de la décolonisation, le rêve unitaire fortement exprimé par le leader politique ghanéen, Kwamé N’ Krumah, s’est propagé dans l’opinion et l’imagination publiques africaines.

Ce rêve ne s’est hélas jamais réalisé véritablement.

Aussi, si le phénomène de l’intégration a déjà connu un réel engouement aux lendemains des indépendances avec la création de plus d’une centaines d’organisations sur le continent, censées renforcer les liens entre les Etats et leurs nations, celles-ci n’ont jamais atteint les objectifs d’une véritable intégration car elles avaient une vocation plus politique que juridique, plus socioculturelle qu’ économique, vocation axée essentiellement sur une volonté de coopération interétatique.

L’échec patent de ce modèle d’intégration et l’exemple de la réussite du modèle de la Communauté européenne conjugués avec le phénomène de la mondialisation ont conduit les responsables politiques à proposer une nouvelle démarche d’intégration fondée sur une approche multisectorielle avec au besoin un degré de transfert de souveraineté plus ou moins accentué au niveau supranational, démarche censée être plus efficace.

C’est ainsi que principalement dans les années 90 on assista à une éclosion d’ordres juridiques communautaires et régionaux, c'est-à-dire à la prolifération d’ensembles organisés et structurés de normes juridiques possédant leurs propres sources, dotés d'organes et de procédures aptes à les émettre, à les interpréter ainsi qu'à en faire constater et sanctionner, le cas échéant, les violations.

Des initiatives tendant à harmoniser des législations plus sectorielles seront ainsi progressivement mises en place, aussi bien dans le cadre de l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) signée le 02 mars 1977 à Bangui, qu’en matière d’assurance avec la Conférence Interafricaine des Marchés d'Assurances (CIMA) instituée à Yaoundé par Acte du 10 juillet 1992, sans oublier la matière de la sécurité sociale avec l’institution de la Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale (CIPRES) qui résulte du Traité d'Abidjan du 22 septembre 1992.

Bien plus cette nouvelle ambition des Etats Africains va se traduire par la création de l'Union Monétaire Ouest Africaine (U.E.M.O.A) en janvier 1994, par la révision du Traité instituant la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (C.E.D.E.A.O) en juillet 1993, par l’institution de son équivalent en Afrique centrale de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale (C.E.M.A.C).

Mais l’avènement de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (O.H.A.D.A) avec le Traité de Port Louis de 1993 va bouleverser l’architecture du « bloc institutionnel communautaire » guère à l’abri désormais d’un enchevêtrement juridique et d’un chevauchement des domaines de compétence des organisations existantes dans un même espace.

Si bien que se pose avec une certaine acuité la question de la cohérence de ce « bloc institutionnel communautaire » qui ne saurait être continuellement regardé sans que l’on ne cherche véritablement à lui donner un sens, à vérifier sa logique ou à identifier les véritables stratégies qu’il renferme. Il semble donc indispensable de donner une certaine cohérence à ce corpus posé comme tel dans sa globalité.

Ce souci devient envahissant lorsque l’on envisage la question sous l’angle de la compatibilité des moyens d’action respectifs des organisations sous régionales.

Le risque de conflits entre les différents systèmes juridiques n’est plus virtuel, il est réel eu égard à l’existence d’un domaine concurrent des divers ordres juridiques. Du fait entre autres et notamment de la souplesse voire de l’imprécision avec laquelle la sphère d’intervention de chacune des organisations a été fixée.

Ce risque est aggravé par la coexistence au plan supranational de trois juridictions suprêmes au niveau communautaires que sont la Cour de Justice de l’U.E.M.O.A., la Cour de Justice de la C.E.D.E.A.O. et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’O.H.A.D.A.

Toutes choses susceptibles d’annihiler l’avenir même du processus d’intégration dans cette région tant il est vrai que cette intégration multisectorielle se réalise dans un même espace juridique éclaté en autant d’ordres juridictionnels.

Quels peuvent donc être ces contrariétés et les points d’achoppement entre les différents systèmes juridiques? Est-il possible d’imaginer un mode d’articulation entre ces divers ordres juridictionnels ?

En d’autres termes, une telle cohabitation est-elle souhaitable est-elle durable ?

C’est à cette série de questions que la présente intervention tente de répondre de manière prosaïque.

A l’évidence, il apparaît que la diversité des organisations régionales dans une même zone géographique induit une situation de concurrence dans l’élaboration des normes (I) et dans leur application (II).

I- Conflit de compétence dans l’élaboration des normes

L’éclosion des organisations d’intégration conduit bien souvent à un enchevêtrement des normes entre ordres juridiques régionaux ou communautaires des droits substantiels. Ceci crée fatalement une situation conflictuelle, qu'il s'agisse d'organisations internationales à compétence matérielle, sectorielle ou générale, dès lors que les unes occupent totalement ou partiellement l’espace et/ou le domaine d’intervention ou de compétence des autres (U.E.M.O.A; C.E.D.E.A.O; OAPI; CIMA; O.H.A.D.A; CIPRES …).

Il s’agit en l’occurrence d’identifier ces risques afin d’anticiper les dérives possibles.

1.1. Les risques

Les risques de concurrence dans la production des normes entre l’O.H.A.D.A et les autres ordres juridiques internationaux, qu’il s’agisse d’organisations internationales à compétence matérielle, sectorielle ou générale, qu’elles soient régionales ou sous- régionales (C.E.D.E.A.O, O.A.P.I, CIMA, U.E.M.A.O, C.E.M.A.C, ou CIPRES) sont pratiquement inéluctables.

En premier lieu, un conflit de compétence peut surgir entre l’O.H.A.D.A et une organisation régionale à compétence sectorielle. C’est le cas notamment de la CIMA.

Le droit des assurances est de la compétence de la CIMA (Conférence interafricaine des Marchés d’Assurance). Mais en réalité cette matière relève indubitablement du droit des affaires, rien donc ne peut théoriquement empêcher l’O.H.A.D.A de légiférer dans ce domaine, notamment dans les branches qui n’ont pas encore été abordées par la CIMA (par exemple les assurances de dommages autres que ceux provoqués par des véhicules terrestres à moteur ; assurances aériennes et maritimes…). Mais il serait curieux que l’O.H.A.D.A intervienne dans ces domaines pour ne pas briser l’homogénéité des sources formelles de la matière et pour ne pas amputer la CIMA de ses compétences.

Malgré cette prudence élémentaire, le chevauchement s’est déjà produit : le Code CIMA a par exemple déterminé les règles de constitution, de fonctionnement, de dissolution et de liquidation des sociétés d’assurances. Dans ce cadre, les procédures de redressement et de sauvegarde des entreprises d’ assurance qui ont été prévues par les articles 321 à 321-3 du code CIMA, sont différentes de celles énoncées par l’Acte uniforme portant Organisation des Procédures Collectives d’Apurement du Passif en ses articles 25 et suivants. Heureusement qu’in fine, l’article 916 de l’Acte uniforme prévoit qu’il n’abroge pas les dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un régime particulier.

Qu’adviendra-t-il lorsque dans le cadre d’une procédure ouverte impliquant à la fois le droit CIMA et le droit O.H.A.D.A se pose en filigrane la question du choix de la norme à appliquer ?

Il en va également de même pour l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle) dont les matières traitées par les Annexes font également partie du droit des affaires. Pour les mêmes raisons que la CIMA, l’O.H.A.D.A se gardera bien de légiférer dans le domaine de la propriété intellectuelle même sur des sujets non encore explorés par l’OAPI tels que les œuvres informatiques ou multimédia.

Cette abstention volontaire peut d’ailleurs conduire à un tout autre risque : celui de provoquer un vide juridique. C’est pour cette raison probablement que l’Acte uniforme sur les Sûretés ne contient aucune disposition relative au nantissement des propriétés intellectuelles. Il se contente seulement d’un renvoi aux lois particulières pour cela. Or en la matière ni l’OAPI, ni les lois nationales ne se prononcent sur une telle sûreté si bien que celle-ci n’est pas réglementée dans la pratique.

En second lieu, un conflit de compétence peut surgir entre l’O.H.A.D.A et l’U.E.M.O.A. Dans ce domaine particulier des rapports entre les deux organisations, le nombre de recoupements de compétence est impressionnant.

En effet, depuis la transformation de l’U.M.O.A en U.E.M.O.A, cette dernière a le pouvoir d’adopter des Règlements (Lois uniformes s’imposant directement aux Etats membres) mais uniquement dans les domaines de compétence que le Traité lui attribue expressément ou déterminés par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement.

Or de l’analyse de ces dispositions, il ressort qu'il ne fait aucun doute que l'U.E.M.O.A s'est donné par rapport à l’objectif d'harmoniser toutes les législations nécessaires à la réalisation, non seulement de l'Union monétaire, mais aussi de l'Union économique. Mais lorsque l’on envisage le détail des questions énumérées par le Traité à propos des politiques monétaire (article 62), économique (articles 63 à 75), sectorielles (articles 101 et 102) ; Protocole additionnel n° II) ainsi que celles rattachées à la réalisation du marché commun (articles 76 à 100), c'est quasiment tout le droit économique, c'est-à- dire le droit des affaires dans son ensemble qui est concerné et qui pourrait ainsi être harmonisé par l’U.E.M.O.A.

Il s’ensuit que le danger de normes concurrentes est dès lors avéré entre l'U.E.M.O.A et l'O.H.A.D.A dans la mesure où cette dernière fonde le droit commun des affaires (droit commercial général ; droit des sociétés ; entreprises en difficulté ; sûretés ; droit comptable ; arbitrage ; voies de recouvrement des créances…), le droit spécial des affaires (transports, par exemple), voire le droit social (droit du travail et sécurité sociale…) sans aucune limite.

On a d’ailleurs vu un tel conflit de normes surgir à propos du droit comptable élaboré par l'O.H.A.D.A et du système comptable ouest africain (SYSCOA) ; cette situation a été fort heureusement résolue par la concertation. Les instances de l'U.E.M.O.A et de l'O.H.A.D.A se sont rapprochées pour élaborer un droit et un plan comptables quasiment identiques. Mais ce type de conflit peut surgir à nouveau dans d'autres domaines sans que l'on soit certain de son issue.

On peut donc assister à un débordement de l'activité normative des deux organisations qui risque de créer une situation juridique incertaine.

Il en est ainsi, pour épuiser les exemples dans ce domaine, de l’article 11 du projet de code communautaire des investissements qui fournit une autre hypothèse d’imbrication dans l’application du droit matériel O.H.A.D.A et du droit U.E.M.O.A.

En effet, ce projet d’article fixe les règles de production devant être observées par les entreprises qui sont d’origine étrangère à la Communauté U.E.M.O.A en les soumettant à l’obligation de se conformer aux règles et normes exigées pour la production des produits identiques dans leur pays d’origine. Il est évident que le contentieux se rapportant à cette disposition se développera le plus souvent parallèlement ou plus exactement dans le cadre d’un contentieux portant principalement sur la vente des produits visés et, notamment, sur les obligations du vendeur, lesquelles seront régies par l’Acte uniforme sur le Droit Commercial général.

Quelle serait dans ce cas l’attitude du juge supranational O.H.A.D.A lorsque qu’un plaideur soulèvera devant lui la non-conformité du produit litigieux aux dispositions du code des investissements U.E.M.O.A ?

De fait, toutes les autres obligations qu’impose l’article 11 du projet à l’investisseur-producteur ainsi que, d’une manière générale, toutes celles qui pourraient être exigées par l’U.E.M.O.A. dans le cadre d’une politique de normalisation des produits et services sont susceptibles de créer une situation qui épouse la structure d’un litige mixte générant l’application et l’interprétation du droit uniforme des affaires et les dispositions de l’U.E.M.O.A.

Face à une situation qui peut vite devenir inextricable si on n'y prend pas garde et ne lui porte pas suffisamment d'attention, quelles sont les solutions envisageables ?

1.2. Les solutions envisageables

L’une des manières les plus simples d’anticiper et de prévenir ou de résoudre la concurrence dans la production des normes des organisations régionales citées et l’O.H.A.D.A est de recourir à titre préventif, aux dispositions des Traités qui comportent tous des clauses permettant à ces organisations d'établir toute coopération utile avec les organisations régionales ou sous-régionales existantes, de faire appel à l'aide technique de tout Etat ou d'organisations internationales et, surtout, de conclure des accords de coopération avec elles.

On a relevé à cet effet l’exemple du droit comptable élaboré par l'O.H.A.D.A et l’U.E.M.O.A. Ce risque de chevauchement a été évité dans ce cas particulier par la concertation en amont des deux organisations pour prévoir un droit et un plan comptable quasiment identique avec d’une part, l’Acte uniforme portant sur le droit comptable et d’autre part, le Système Comptable Ouest Africain (SYSCOA).

Mais en dehors de cette formule de concertation formelle ou non, toujours possible, entre organisations internationales, aucun mécanisme général préventif ou de solution des conflits de compétences n'a été institué dans la zone africaine subsaharienne.

A supposer donc que la solution de la concertation soit impossible ou inutilisée, comment arrivera-t-on à résoudre les conflits de normes portées par des législations des différentes organisations différentes ?

Rappelons qu’il n'y a conflit de normes que si deux dispositions ayant le même objet sont contraires.

Il y a lieu de distinguer dans cette analyse deux hypothèses : lorsque le conflit normatif dont il s’agit oppose le droit commun à un droit spécial ou lorsqu’il oppose deux législations de droit commun.

D’abord le conflit peut se porter entre un régime de droit commun et un régime de droit spécial. En effet, il peut advenir que l'une des organisations en présence ait forgé un droit commun et l'autre, un droit spécial (par exemple, le droit des sociétés commerciales élaboré par l'O.H.A.D.A est considéré comme le droit commun des sociétés commerciales et celui des banques et des assurances créé respectivement par l'U.E.M.O.A et la CIMA constituent des droits spéciaux de sociétés commerciales à objet de banque ou d'assurance ; tandis que les règles comptables édictées par le code CIMA pour les entreprises d'assurance constituent un régime dérogatoire au droit commun comptable SYSCOA ou O.H.A.D.A).

Dans un tel cas de figure, lorsque les régimes spéciaux dérogent au droit commun mais uniquement dans les limites étroites de ces régimes spéciaux et pour l'objet précis des dispositions dérogatoires considérées, la CCJA pour l'O.H.A.D.A comme la Cour de Justice de l'Union pour l’U.E.M.O.A devraient donner une interprétation de la portée dérogatoire de la règle ou du régime spécial.

Ensuite le conflit de normes peut concerner deux régimes de droit commun (par exemple l’O.H.A.D.A et l’U.E.M.O.A avec le droit comptable). Dans de pareils cas, le risque est grand d'être en face d’un conflit de règles insoluble lorsqu'elles seront appliquées dans l'espace de l'U.E.M.O.A car, selon qu'elles y auront intérêt, les entreprises pourront réclamer l'application de l’Acte uniforme ou du SYSCOA.

Or, à la différence de la règle de conflit qui permet, dans les limites fixées par le système de droit international privé du for, de répartir l’application de la lex fori et de la loi étrangère, aucun des ordres juridiques ne détient la clé de la répartition des compétences entre normes en concurrence. En effet, aucun ordre juridique ne peut s’arroger le pouvoir de cette répartition. Certes, il appartient à l’ordre juridique O.H.A.D.A de fixer sa sphère d’applicabilité matérielle et spatiale qui s’impose aux ordres juridiques internes des Etats- parties. Mais, il ne revient pas fondamentalement aux autorités ou aux organes de l’ O.H.A.D.A notamment à la CCJA de traiter ou d’interpréter, par exemple, une norme juridique U.E.M.O.A ou C.E.D.E.A.O dans un litige donné et porté à sa connaissance.

De manière générale, la politique d’extension du domaine du droit des affaires actuellement envisagée pour couvrir sinon la totalité, du moins l’essentiel des règles juridiques applicables à l’entreprise et aux activités économiques est porteuse de ce risque d’accroissement des situations de concurrence entre les normes communes produites ou susceptibles d’être produites par l’O.H.A.D.A et les normes communes ou communautaires produites par les autres organisations régionales telles que l’U.E.M.O.A et la C.E.D.E.A.O pour ne rester que sur l’exemple de l’Afrique de l’Ouest.

Si bien que tout en restant dans son domaine de compétences, l’ O.H.A.D.A peut se heurter donc à des limites externes résultant de l’existence d’organisations internationales concurrentes tout autant regardantes sur leurs sphères de compétences. D’ où les risques de conflits nés ou à naître, conflits qui peuvent être selon les situations négatifs ou positifs.

II. Les Conflits de Compétence dans le contrôle de l’application des normes

De la même façon que pour la création de normes supranationales, il existe un risque évident de conflits de compétence au plan juridictionnel (1), ce risque se trouve par ailleurs aggravé par l’absence de lien organique entre les différentes juridictions suprêmes instituées à la tête des plus grandes organisations (2).

2.1. Un risque évident de conflit de compétence juridictionnelle

Conscients des dangers d’interprétations divergentes et/ou contradictoires dans la mise en œuvre de leurs législations, l’O.H.A.D.A, l’U.E.M.O.A, la C.E.M.A.C, la C.E.D.E.A.O ont chacune institué une juridiction spéciale, chargée de veiller à l’application uniforme des règles qu’elles édictent. Il existe ainsi dans le seul espace géographique O.H.A.D.A. (Afrique Centrale et Afrique de l’Ouest) au moins six juridictions intervenant dans des sphères de compétence différentes.

D’un point de vue pratique, qu’adviendra-t-il lorsqu’un litige venait à impliquer par exemple l’application simultanée et conjuguée des règles de l’U.E.M.O.A, de la C.E.M.A.C et des Actes uniformes ?

Quelle juridiction faudrait-il privilégier dans de pareils cas ?

Même s’il est vrai qu'en dehors de la CCJA, les autres juridictions suprêmes ne connaissent guère un volume consistant de contentieux pouvant laisser croire à une véritable concurrence entre ces Cours, le risque de divergence existe bel et bien au plan pratique.

Or il n'existe aucune hiérarchie ou de lien organique entre les différentes juridictions. Cette situation d’horizontalité bien assise sur le principe de plénitude de compétence de chacune des juridictions dans la matière qui la concerne, empêche que l’une puisse saisir l’autre pour avis ou pour consultation sur une question d’interprétation.

La Cour de justice de l'U.E.M.O.A, saisie par avis le 2 février 2000 à propos du projet de Code communautaire des investissements U.E.M.O.A, avait eu à se prononcer indirectement sur la question en expliquant, d'une part, que la CCJA ne peut saisir la Cour de justice de l'U.E.M.O.A en renvoi préjudiciel, parce qu'elle n'est pas une juridiction nationale et, d'autre part, que l'interprétation par la Cour de justice de l'U.E.M.O.A des Actes uniformes de l'O.H.A.D.A porterait atteinte à « l'exclusivité de compétence de la CCJA dans l'interprétation et l'application des Actes uniformes ».

L'absence de lien organique entre ces hautes juridictions, s'explique en théorie par le fait qu'elles sont toutes adossées à des Traités internationaux différents et qu'elles obéissent ainsi à des ordres juridiques distincts.

Cette absence de passerelles entre ces institutions est pourtant préjudiciable pour les plaideurs ordinaires. Cette pluralité de cours ne gagnerait- elle pas en efficacité si une collaboration formelle pouvait être établies entre- elles?

Certains observateurs ont avancé l’idée de faire de la CCJA la plus Haute juridiction communautaire. Elle aurait pour ainsi dire vocation à connaitre de toutes les affaires relatives aux autres législations uniformes hors O.H.A.D.A, applicables dans les Etats parties, notamment en matière d’assurance ou de propriété intellectuelle, toujours dans le but de parvenir à une interprétation uniforme dans ces domaines.

Mais si cette idée a le mérite de la simplicité, sa mise en œuvre n’est pas sans difficultés dans la mesure ou toutes ces matières n’entrent pas, en effet, dans le cadre d’un Acte uniforme. Or la compétence de la CCJA est limitée au domaine du traité de Port Louis. Si bien que la compétence que la juridiction supranationale en tire est une compétence spéciale et non une compétence générale. Sur la base de cette analyse, on ne peut souscrire à cette idée. Une telle mesure pourrait en outre rouvrir inutilement le débat sur la constitutionnalité du Traité.

Il faudra prendre garde, en effet, qu’à une trop grande insécurité ne succède une sorte d’impérialisme judiciaire excessif qui lui-même aboutirait à une situation complexe où ne se retrouvent plus les plaideurs ordinaires.

2.2. De la nécessité d’une coopération entre les juridictions communautaires

A l’exception des cas de renvoi d’une juridiction à une autre, il y a deux circonstances qui pourraient justifier rationnellement la coopération judiciaire entre juridictions suprêmes : le dessaisissement total d’une juridiction au profil d’une autre et la procédure de renvoi préjudiciel.

La voie du dessaisissement doit être exclue dans notre hypothèse en raison de son impraticabilité car elle heurterait de plein fouet les règles de compétences exclusives entre les juridictions.

Or la question de l’opportunité du recours à la procédure préjudicielle peut se poser au moins dans les cas très spécifiques où le litige soulève des questions d’application et d’interprétation de plusieurs normes communautaires.

Il s’agit des litiges dans lesquels il existe un partage des compétences entre, par exemple, la CCJA et les autres juridictions suprêmes communautaires. Dans une telle hypothèse, l’instauration d’un mécanisme de question préjudicielle est celui qui présenterait le moins d’inconvénients.

Dans une telle perspective, dès lors qu’un juge suprême se trouve confronté dans « une affaire mixte » dans laquelle il y a un mélange d’application et d’interprétation de normes communautaires, il doit poser, sans aucune condition, la question préjudicielle à la juridiction suprême normalement compétente en la matière.

Il n’y a pas lieu, pour lui de considérer si la question est ou non « prépondérante »

Il n’y a pas lieu non plus d’admettre la théorie d’un acte clair développée par les juridictions françaises dans le cadre du droit européen .

Car il s’agit avant tout de permettre à chaque juridiction supranationale de garder toute sa maîtrise sur tout le contentieux du droit qui relève de sa compétence et de se prémunir contre les autres juridictions qui voudraient prendre quelques libertés avec les règles de compétences exclusives instituées par les différents traités.

Cette technique de recours à la procédure de renvoi préjudiciel devrait ainsi permettre aux diverses juridictions œuvrant pour le « bloc institutionnel communautaire » d’exercer chacune en ce qui la concerne, un contrôle indirect sur l’interprétation et l’application du droit relevant de sa sphère de compétence dans les litiges mixtes, tout en permettant aux autres juridictions d’exercer pleinement leur souveraineté sur la partie des litiges qui les concernent.

Schématiquement, la procédure se déroulerait en trois temps:

1- Le juge initialement saisi décide de surseoir à statuer et de renvoyer la question d’interprétation à la juridiction dont l’avis est sollicité ;
2- Saisie de la question, cette dernière, qui garde sa compétence exclusive dit le droit sous forme d’un arrêt interprétatif ;
3- Le juge saisi reprend l’instance fait application de cet arrêt interprétatif au litige et rend une décision qui éteint le contentieux.