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16/06/2010

L’OHADA : un exemple de Convergences / Convergence Professionnelle : des normes et des pratiques bien communes ?

L’OHADA : un exemple de Convergences
Convergence Professionnelle : des normes et des pratiques bien communes
?

Mamadou I. KONATE
Avocat Associé
JURIFIS CONSULT



Introduction générale

Face à l'universalisation des marchés et à la libéralisation des échanges, les pays africains n'ont pas vraiment le choix.

Soit ils avançaient en rang disperser et subissaient les foudres de l'économie de marché et de la mondialisation, soit ils acceptaient de s'adapter en se regroupant pour former de grands ensembles dans l'espoir de rester dans la course.

C'est cette volonté de coopération qui a conduit certains Etats africains depuis quelques années à se regrouper au sein de l’OHADA pour défendre les intérêts qui leurs sont communs, afin d’encourager l'initiative économique et la fiabilité des normes juridiques des Etats membres.

En effet, les opérateurs économiques étrangers ou même nationaux et les investisseurs ne donnaient plus leur confiance au système juridique et judiciaire en place.

L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) s’est donc fixée comme principal objectif non seulement de faciliter l’activité des entreprises pour relancer l’économie, mais également d’apporter une réponse adaptée à l'insécurité juridique et judiciaire qui constituait un obstacle majeur à l’attrait de ces investisseurs .

L'insécurité juridique était pendant longtemps matérialisée par le caractère vétuste de la règlementation en vigueur : nombreuses étaient ces lois qui dataient d'époques très lointaines et ne répondaient plus aux questions issues de contextes économiques ayant manifestement évolués.

Dans la plupart des Etats parties, très peu de réformes ont été entreprises jusqu'alors, chaque État légiférant sans tenir vraiment compte de la législation de son ou ses voisins ou ceux qui appartiennent à la même communauté financière et/ou économique. A cela s'ajoute l'énorme difficulté pour les justiciables comme pour les professionnels du droit et d’autres de connaître les textes juridiques applicables.

La corruption de tout le système judiciaire, l'imprévisibilité des tribunaux, l'absence de publication des décisions de justice, des décisions judiciaires contestables, des décisions en délibérées depuis plusieurs années, l'accueil des moyens dilatoires, les renvois à répétition, la lenteur des procédures, les difficultés d'exécution des décisions de justice, des législations disparates, hétérogènes et contradictoires, l'inadaptation des législations à l'évolution des affaires, la saturation des tribunaux avec des moyens matériels limités, la faible rémunération et le manque de formation des magistrats et auxiliaires de justice, et la liste est loin d'être close, ont laissé s'installer sur le continent une réelle insécurité juridique et judiciaire empêchant toutes activités économiques sérieuses.

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que le bilan de l’OHADA sur l’ensemble de ces préoccupations est plus que satisfaisant au regard des résultats obtenus, même s’il reste bien entendu que ces résultats sont inégalement repartis tant par rapport aux objectifs fixés que par rapport aux Etats Parties.

Sur le plan normatif comme sur le plan judiciaire, la convergence de la loi et de la jurisprudence est sans conteste une réalité.

Mais, peut-on faire ce même constat au plan des pratiques, notamment pour ce qui est de la norme et de la pratique professionnelle pour parler de convergence professionnelle ?

L’amélioration des systèmes judiciaires des Etats, plus encore que l’amélioration des textes juridiques, est très largement tributaire de la qualité des professionnels chargés de la mettre en œuvre et de la formation reçue par ceux-ci : les normes ne sont rien sans une procédure et les professionnels sont eux-mêmes inutiles s’ils les méconnaissent.

En effet, pour que « the law in the book » (la loi dans les textes) se traduise dans la réalité par the « law in action » (le droit positif), il importe de développer une véritable culture juridique commune aux praticiens du droit applicable aux affaires.

Le nombre de colloques, de conférences et toutes les autres publications à l’échelle régionale et internationale déjà intervenus sur le droit OHADA en si peu de temps traduit à la fois ce besoin et le bouillonnement culturel dans le sens d’une accélération.

La formation pratique constitue, en raison de son impact culturel profond, durable et mesurable, un accompagnement indispensable au développement de ce droit.

Cette culture commune passe inévitablement par une formation commune et un perfectionnement des praticiens dans le domaine du droit unifié des affaires.

Le manque de formation aurait eu pour effet immédiat de réduire et la valeur et la portée de ce droit ; notamment parce qu’il conduirait les juridictions nationales chargées de régler en première instance et en appel le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes (article 13 du Traité de l’OHADA), à appliquer des normes internes dans les cas où les normes communautaires (qu’ils ne maîtrisent pas) devraient trouver à s’appliquer.

Aussi, quelle que soit la qualité de la formation professionnelle reçue au préalable par les magistrats, avocats, notaires et autres auxiliaires de justice, cette formation complémentaire, spécifique en droit communautaire est incontournable.

I. La création d’une Ecole régionale de formation
1.1. Le Rôle et les limites de l’ ERSUMA


Dès l’avènement du droit OHADA, les observateurs n’ont pas manqué de faire part de leurs inquiétudes.

Inquiétudes devant un monde nouveau, pour lequel l’enseignement universitaire et/ou les écoles de formation n’ont très souvent guère préparé les praticiens de ce droit.

Ce manque de formation des praticiens faisait craindre une mauvaise application et une mauvaise utilisation du droit.

C’est pour se prémunir contre cela et dans une perspective d’uniformisation des pratiques que le législateur a donc décidé que seul un établissement interafricain était à même de faire prendre conscience aux professionnels du droit de l’intérêt de ce droit uniforme.

C’est ainsi qu’a été institué l’Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature (ERSUMA) basée à Porto- Novo, en République du Bénin. L’ERSUMA, est destinée selon les fondateurs de l’OHADA à devenir une institution clef, bien que dépendante du Secrétariat Permanent.

Selon les termes mêmes de l’article 41 du traité, cette école concourt: « à la formation et au perfectionnement des magistrats et des auxiliaires de justice des Etats parties ».

L’admission à l’ERSUMA est ouverte à tous les magistrats ou auxiliaires de justice c'est-à-dire aux huissiers, aux notaires, aux greffiers, aux experts judiciaires et aux avocats ressortissants de l’espace OHADA. Elle reçoit en outre les universitaires et les acteurs non judiciaires tels les opérateurs économiques.

Sur le plan pédagogique, le programme correspond au droit matériel OHADA. Cependant l’Ecole n’assure pas à titre principal la formation professionnelle de base (formation initiale) des personnels judiciaires. Cette formation initiale reste de la compétence des Ecoles nationales de formation ou filières judiciaires des ENAM.

Mais, les acteurs judiciaires ainsi formés de la même manière sur le droit matériel uniforme, quel que soit le pays auquel ils appartiennent constitue sans nul doute une garantie d’une bonne application du droit uniforme par les juridictions de première instance et d’appel des Etats parties, car statistiquement, les recours en cassation sont rares.

Par ailleurs, cette formation commune présente un autre intérêt pour la recherche juridique, elle mobilise la jurisprudence africaine, la doctrine et l’enseignement universitaire autour des mêmes thèmes. Elle favorise ainsi les échanges entre universités et praticiens du droit des Etats-parties qui se nourrissent de leurs expériences réciproques.

Cette institution joue un rôle non négligeable en ce qu'elle permet aux professionnels du droit des Etats membres d'avoir une formation uniforme et d'acquérir ainsi une compétence homogène en droit des affaires. Le rôle de cette formation dans la lutte contre l'insécurité n'est plus à démontrer, tant elle répond aux attentes des protagonistes de l'activité économique sur le continent.

Cela dit le système a ses limites car cette formation n’est pas obligatoire et l’accès à cette école est laissé à la diligence des autorités étatiques qui proposent les candidats à la formation. Le nombre de magistrats proposés par pays nous paraît d’ ailleurs assez limité.

On s’est également très vite rendu compte que l’ERSUMA à elle seule ne pouvait pas jouer ce rôle de formation pour tous les professionnels de l’espace OHADA. D’ailleurs, faute de moyens financiers suffisants elle est actuellement moribonde.

A l’heure d’un premier bilan on peut dire que trop de magistrats, avocats, greffiers, notaires connaissent encore mal le droit OHADA, ce qui nuit incontestablement à sa visibilité, à son efficacité et à la sécurité juridique et judiciaire dans son ensemble à long terme.

1.2. La nécessité d’une nouvelle stratégie pour l’ERSUMA

Nous préconisons une nouvelle stratégie. Une formation délocalisée et individualisée doit être envisagée pour certains pays de la zone OHADA, identifiés comme ayant des problèmes communs d’application des normes communautaires.

Cela permettra de réduire les coûts de mise en œuvre des formations par la limitation des déplacements des séminaristes au site de l’ERSUMA, mais aussi, la mise en place de sessions de formation plus focalisées sur les difficultés propres à chaque Etat-partie.

Une nouvelle politique de sélection et de prise en charge des participants selon des critères plus ouverts devrait être établie. Ces critères devraient tenir compte des spécificités et des besoins de chaque Etat-partie pour être efficace.

Le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication devra être encouragé avec la mise en place de formations à distance au moyen de visioconférence.

Les programmes doivent permettre de répondre aux besoins de formation spécialisée identifiés dans les Etats Parties. Ces programmes doivent également permettre aux Etats-Parties, les moins impliqués dans la mise en œuvre de rattraper leur retard et de continuer de participer activement à l’application du droit communautaire.

Dans tous les cas, il est à espérer qu’à l’avenir, l’action de l’ERSUMA ne sera pas limitée à la formation des formateurs, mais au contraire sera ouverte à la formation initiale en attendant d’en faire la grande école régionale de formation des magistratures africaines et de l’ensemble des juristes du continent. Les moyens financiers de l’OHADA devront néanmoins être à la hauteur de cette ambition.

II. L’absence d’un barreau spécialisé

Il n’existe pas d’avocats spécialisés et répertoriés comme tels sur un tableau auprès de la CCJA, dans le contentieux des Actes uniformes au stade de la cassation. Il y a lieu de le regretter et de le déplorer.

L’absence d’un barreau spécialisé critiquée par une partie de la doctrine, n’est pas pour faciliter le développement d’un contentieux de qualité. La qualité de la personne prétendant exercer le ministère d’avocat devrait être sûre et garantie par des listes établies par les barreaux nationaux. Or, les textes de l’OHADA apparaissent un peu légers sur cette exigence.

L’alinéa 1 de l’article 23 dispose tout simplement que : « est admis à exercer ce ministère toute personne pouvant se présenter en qualité d’avocat devant une juridiction de l’un des Etats Parties au Traité. Il appartient à toute personne se prévalant de cette qualité d’en apporter la preuve à la Cour ».

En fait, l’avocat « communautaire » est, un juriste rattaché à un système juridique de l’un des Etats- parties. Mais, à côté de son droit national non harmonisé, le praticien ne peut éviter un droit harmonisé déjà considérable, de par son volume et sa durée. Il ne pourra, dès lors apporter une réelle contribution à la construction du droit harmonisé, que pour autant que les différentes professions nationales de cet espace communautaire s’organisent et se spécialisent.

2.1. Une structuration indispensable des barreaux

On ne peut pas dire que l’article 23 du Règlement par l’imprécision de ses termes, va dans le sens d’une garantie absolue vis-à-vis du plaideur. La qualité de la personne prétendant exercer cette profession ne doit pouvoir être remise en cause. Or il n’appartient qu’aux différents barreaux nationaux d’établir de façon incontestable la liste de ces personnes. La liste de ces avocats devant être tenue à la disposition de la CCJA au niveau de chaque Etat -partie.

Certains observateurs proposent que ces barreaux se regroupent dans un Conseil représentatif. Ce Conseil représenterait la profession auprès de la Cour.

Et dans le cadre de la dynamique d’harmonisation, ce Conseil devrait prévoir à terme la création d’un centre de formation qui dispenserait une formation commune aux avocats de tous les Etats-parties .

Une telle proposition mérite d’être soutenue sans réserve. Car l’harmonisation de la profession au sein de l’OHADA est une nécessité impérieuse dont ces acteurs particuliers du procès ne peuvent faire l’économie.

Car dans le même temps qu’elles participent de manière éminente à des fonctions communautaires, les professions d’avocat, telles qu’elles existent dans l’espace OHADA sont structurées dans le cadre national et sur des bases nationales.

Ceci implique naturellement une hétérogénéité à bien des égards. De ce point de vue, l’espace juridique OHADA risque fortement d’être cloisonné, compartimenté par des barrières plus ou moins visibles, entre les Etats- parties, voire à l’intérieur de ceux-ci, et entre les différentes professions d’avocat.

2.2. Une spécialisation souhaitable

La CCJA pourrait-elle continuer à fonctionner correctement sans un barreau spécialisé ?

Il est incontestable, tout d’abord, que l’activité de l’avocat auprès de l’instance de cassation n’est pas de même nature que celle qui s’exerce devant une juridiction du fond . Cette activité requiert une compétence spéciale en la forme comme au fond. En la forme, l’avocat doit être capable de mettre en jeu une technique particulière, fondée sur une procédure entièrement écrite basée sur la distinction du fait et du droit.

Au fond, l’activité auprès de la Cour Commune doit consister en une « espèce fixée » qu’il doit rattacher à une généralité de cas, aussi compréhensible que possible, pour dégager un principe général ayant un large domaine d’application.

Le recours en cassation n’est pas en effet, « un super- appel » ordinaire, mais une voie de recours extraordinaire au sens technique comme au sens figuré du terme.

Jacques Boré explique que dans de nombreux pays, dotés d’une juridiction de cassation dont l’activité est gouvernée par la distinction du fait et du droit, l’idée s’est naturellement imposée qu’il était souhaitable, pour la bonne information et le libre choix des justiciables, de réserver la représentation de ceux-ci à des professionnels spécialisés, groupés en corps distincts ou inscrits à un tableau spécial .

Dans une communauté de droit qui se construit et se développe les avocats occupent, ou devraient occuper, un rôle charnière. Ils sont aux avant- postes. Ce sont eux qui sont appelés à proposer aux juges des lectures plus ou moins audacieuses des textes de l’OHADA.

C’est à l’avocat qu’il revient d’identifier et de faire émerger les éléments de droit uniforme de l’affaire dans laquelle il assiste ou représente une partie, en première instance devant une juridiction nationale, dans l’Etat où il a obtenu son habilitation, dans un Etat d’accueil ou en instance de cassation devant la juridiction supranationale.

Le juge supranational est tributaire, après tout, des affaires qui sont portées devant lui par les plaideurs ; car le juge est lié par l’objet du litige, par les termes du litige, tels qu’ils sont déterminés par les prétentions des parties. Les avocats sont et doivent être les interprètes des préoccupations de leurs clients. Il leur revient donc de suggérer les solutions que commande l’invocabilité des Actes uniformes.

A ce propos, l’ ancien Président de la Cour de Justice des Communautés Européennes, le danois Ole Due , faisait fort justement remarquer que : « tous les grands principes du droit communautaire ou international qui nous semblent aujourd’hui si évidents, comme l’effet direct, la primauté du droit communautaire, le respect des droits fondamentaux, les droits de la défense ont été consacrés à l’occasion d’affaires dans lesquelles un avocat a identifié et a su convaincre le juge de la nécessité de le résoudre en formulant un principe général applicable non seulement de l’affaire en cause, mais aussi à celle en devenir » .

On attend des avocats africains qu’ils jouent ce rôle prépondérant pour apporter leur contribution originale et essentielle à l’enrichissement et la construction du droit harmonisé des affaires.

Or cette contribution décisive ne peut passer que par le canal d’une formation professionnelle commune et performante à travers l’espace régional.

L’avocat dans l’espace OHADA vit donc un changement inexorable et une accélération exponentielle dans la pratique de sa profession qui ne connaît pas une simple évolution, mais une véritable révolution.

D’ailleurs, seule une parfaite connaissance et une maîtrise complète des nouvelles normes et institutions communautaire permettrait de garantir une application efficace du droit des affaires en OHADA.

Seule une formation adéquate et continue pourrait lui permettre à l’Avocat de jouer le rôle qui est le sien dans la mise en place des normes qui régissent le droit des affaires en OHADA et garantir aux entreprises un accompagnement approprié à leurs besoins.

La nécessité de prioriser la formation au sein de la profession d’Avocat ne fait pas de doute. L’adhésion au principe de la formation est déjà la règle de plusieurs ordres professionnels et d’un grand nombre de Barreaux d’Europe et même d’Amérique.

En France par exemple, cet impératif de formation fait désormais partie des obligations mis à la charge de l’Avocat, qui est tenue de justifier chaque année de plusieurs heures de formation continue.

Il est donc peut être venu le moment pour les différents Barreaux de l’espace OHADA, en partenariat avec les Universités, de prendre les dispositions nécessaires afin de mettre en place des cycles de formations permettant aux Avocats d’acquérir très rapidement, les aptitudes nécessaires pour faire face à la profonde mutation qu’à entraîné l’OHADA.

Si le débat «connaissances vs. compétences» fait rage dans les discours médiatisés, il est important de réaliser à quel point les deux sont intrinsèquement liés dans notre cas. Une grande part de notre savoir nous est acquise, par notre formation antérieure et notre expérience. Une part demeure cependant constamment à être actualisée, peaufinée, adaptée…

Il semble démontré qu’il n’y a pas d’apprentissage sans imagination et que l’intelligence, dite « fluide », opposée à l’intelligence « cristallisée », peut s’exercer à l’école. Il nous appartient donc à nous, Avocats, de mettre notre imagination au service de la conception et de la mise en œuvre de nos programmes de formation pour les adapter avec fluidité à notre très belle profession.

Chaque avocat devrait alors avoir accès à des formations variées, qui lui permettraient à la fois d’actualiser son savoir dans son domaine d’expertise, d’acquérir de nouvelles connaissances, d’assurer le développement de ses compétences, de confronter ses questions et ses vues avec celles d’autres participants et des formateurs, et ce, dans n’importe quel domaine du droit des affaires OHADA.

C’est dans cette perspectives que nous préconisons la mise en place de :

- une préformation en vue d’accéder à la profession;
- une formation initiale;
- une formation continue;
- un cadre légal et règlementaire d’exercice de la profession;
- un code déontologique applicable à la profession;
- Les exigences de qualité et le respect des standards internationaux applicables à la profession;