Rechercher dans ce blog

15/11/2008

L’ABUS DE BIENS SOCIAUX DANS L’ESPACE OHADA : Ce que les patrons ne pourront plus faire

Les forces vives, aujourd’hui, sont les capitaines d’industrie qui partent sans relâche à la conquête des marchés et du monde, pour le rayonnement de leur entreprise.

Le législateur de l’OHADA encadre nos fougueux entrepreneurs afin de réprimer des agissements contraires à l’intérêt social. Ainsi, le délit d’abus de biens sociaux éclaire la route tel un phare qui rappelle à ces navigateurs qu’il ne faut pas confondre leur patrimoine propre avec celui de l’entreprise.

L’abus de biens sociaux frappe, en général, au nom de la société, les dirigeants qui détournent l’intérêt de l’entreprise vers leur intérêt personnel. Le droit OHADA considère l’entreprise comme une personne indépendante ; abuser de la personne, fut-elle morale, c’est une faute pénale.

Les dirigeants d’entreprise n’ont pas tort d’avoir le sentiment d’être de plus en plus sous surveillance. Les condamnations pour abus de biens sociaux augmentent régulièrement dans l’espace OHADA, sans parler des autres chefs d’accusation moins répandus, mais qui fleurissent comme jamais : infraction à la législation boursière, escroquerie, abus de confiance, banqueroute, etc.

Il est évident que cette fureur judiciaire déforme l’image des dirigeants : le grand public ne faisant guère de distinction entre les manquements bénins et les délits graves, les montages réalisés dans l’intérêt de l’entreprise et les malversations qui ne servent que son patron.

Aujourd’hui, tout le monde, au moins en théorie, est menacé. L’abus de biens sociaux commence avec la lettre à grand-père glissé dans le courrier de la société ou le coup de fil aux enfants en vacances que l’on passe de son bureau sans imaginer un instant que l’on devrait utiliser son téléphone personnel ou encore le stylo à bille pris sur son bureau que l’on glisse dans sa poche en rentrant chez soi.

Tous les dirigeants de sociétés capitaux (SA, SARL) sont concernés ; seul l’entrepreneur individuel, dont le patrimoine personnel se confond par définition avec celui de son entreprise, peut encore disposer de ses biens comme il l’entend.

Dès lors qu’ils sont sociaux, ces biens-là ne vous appartiennent plus. Même si vous possédez, via des prête-noms, 100% des parts de votre SARL. En la volant, ce n’est pas vous-même, mais une personne morale, que vous volez.

D’après les dispositions de l’article 891 de l’Acte Uniforme relatif aux sociétés commerciales, l’abus de biens sociaux suppose la réunion de quatre éléments.

L’usage d’un bien social ou du crédit de la société,

Les biens sociaux sont tous les éléments, mobiliers ou immobiliers, du patrimoine de la société, tandis que, le crédit social est la confiance qui s’attache à la société en raison de son capital, de la nature des affaires et de sa bonne marche. C’est aussi la capacité d’emprunter ou le fait de constituer des garanties (l’abus sera par exemple caractérisé dès lors que la société cautionnera un emprunt contracté par la maîtresse du dirigeant).

Cet usage doit être contraire à l’intérêt social

Il faudrait que cet usage entraîne pour la société un risque sans contrepartie raisonnable de gains. En revanche, il n’est pas nécessaire que la société ait subi un préjudice, l’éventualité serait suffisante.

En aucun cas donc, le patron ne doit mettre à la charge de la société ses dépenses personnelles. Le dirigeant qui augmente inconsidérablement sa rémunération ou abuse des remboursements de frais prend vraiment des risques, dans le cas où surviendrait une procédure collective d’apurement du passif.

Pour qu’il y ait abus de biens sociaux, il faut qu’il y ait poursuite d’un intérêt personnel direct ou indirect. Celui-ci peut être d’ordre pécuniaire, professionnel ou même moral.

L’exemple classique est l’acquisition par la société d’un véhicule ou d’un local appartenant jusqu’alors au dirigeant, à un prix excessif (très supérieur à sa valeur à l’argus ou, au prix moyen du mètre carré dans le quartier).

Un autre délit qui pourra aussi être épinglé est celui consistant aux opérations désavantageuses pour la société et menées dans le seul but de maintenir des relations amicales avec un tiers (c’est le cas par exemple lorsque vous offrez un cadeau coûteux à la fille de votre principal client pour son mariage, ou encore lorsque vous effacer une facture litigieuse dans le seul dessein de garder de bonnes relations avec le client concerné).

Le dirigeant doit avoir agi de mauvaise foi, c’est-à-dire avoir eu conscience que ce qu’il faisait était contraire à l’intérêt de la société.

L’indice de cette intention délictuelle pourrait résider dans le fait de n’avoir pas demandé l’accord du conseil d’administration. Ce qui ne signifie pas que toute convention approuvée par le conseil d’administration béni-oui-oui vous protègera en toutes circonstances.

La notion d’abus de biens sociaux ne doit cependant pas se confondre avec celle d’acte anormal de gestion, même si elle recouvre dans neuf cas sur dix les mêmes agissements coupables. La première est une définition pénale et la seconde une définition fiscale.

Si par exemple le fisc vous accuse d’avoir offert un cadeau à un intermédiaire dont vous souhaitez taire le nom (ce qui arrive fréquemment), vous serez redressé pour acte anormal de gestion et la somme incriminée sera réintégrée dans les profits, ce qui augmentera l’impôt sur les sociétés. Mais ceci n’empêchera pas, quelques semaines plus tard, le parquet de vous accuser pour les mêmes acte litigieux, d’abus de biens sociaux et de vous infliger une amende, voire dans les cas les plus graves, de vous jeter en prison.

Il y a néanmoins des domaines où le parquet pourra se montrer plus compréhensif que le fisc. C’est le cas notamment lorsque les actes anormaux concernent des transferts à l’intérieur du groupe.

Pour le fisc, favoriser une filiale et en pénaliser une autre dans l’intérêt global du groupe pour éviter que la première ne dépose le bilan, ce qui rejaillirait sur l’image du groupe, est un acte anormal de gestion qui conduit inévitablement à un redressement fiscal.

Le parquet en revanche n’y verra forcément pas un abus de biens sociaux, et pourra même considérer sous certaines conditions, qu’il s’agit d’une politique d’ensemble.

La Cour de cassation française avait ainsi rappelé dans l’affaire ROZENBLUM, que l’acte contraire à l’intérêt d’une société peut être justifié si l’on se trouve en présence d’un groupe économique fortement structuré et si les sacrifices demandés à l’une des sociétés du groupe ont bien été réalisés dans l’intérêt du groupe pour la poursuite d’une politique globale cohérente et enfin, si ces sacrifices ne font pas courir à la société concernée des risques sans contreparties suffisantes.

Les peines encourues en cas d’abus de biens sociaux sont assez lourdes. Les magistrats considèrent en effet que le coût social des abus pour la collectivité est exorbitant : manque à gagner pour le fisc et services sociaux, mais aussi destruction d’emplois lorsque la société finit par déposer son bilan. Mais pour les patrons, c’est très vite oublier que ces emplois et ce manque à gagner n’existeraient pas s’ils n’avaient pas créé et développé eux-mêmes ces entreprises qu’on les accuse d’avoir volé.

Comment le parquet découvre t-il un abus de biens sociaux ?

Les informations proviennent généralement de plusieurs sources.

Les enquêtes ouvertes suite aux défaillances d’entreprises
Les dénonciations des associés ou ex-associés du dirigeant
Les commissaires aux comptes qui sont normalement tenus de faire part à la justice de toutes entorses à la loi qu’ils repèrent dans les comptes de leurs clients
Le fisc et les services sociaux
Les lettres anonymes et les délations de tous genre, qui sont souvent plus nombreuses qu’on le croit. (heureusement que le parquet dispose de l’opportunité des poursuites, et ne s’amuse pas à déclencher des enquêtes à la moindre présomption)

Pour se défendre face à une accusation d’abus de biens sociaux, il faut donc prouver sa bonne foi et montrer que l’acte incriminé n’était pas contraire à l’intérêt social.

L’idéal est évidemment de ne pas prendre de risque. Mais qui n’en prend pas ? nul n’est à l’abri.

Toute personne qui reçoit un appel de sa femme au cours d’un entretien dans son bureau lui dit « je te rappelle dans cinq minutes » et le fait tout naturellement avec le combiné posé sur son bureau en oubliant son téléphone personnel.

Les abus fréquemment observés

Le salaire excessif du dirigeant (le caractère excessif est apprécié en fonction de la situation financière de la société)
Le salaire versé à l’épouse ou à un proche du dirigeant par la société (hors de proportion avec le travail effectivement fourni)
Les voyages non directement liés à l’activité professionnelle (prise en charge par la société du billet d’avion de l’épouse ou de la maîtresse du dirigeant par exemple)
Les comptes courants débiteurs (même si le compte courant est renfloué par la suite, l’avance momentanée consentie par la société à son dirigeant devrait constituer, de fait, un abus de biens sociaux)
Les contraventions payées par la société (même s’il s’agit d’un véhicule de la société, les amendes pénales sont en effet des sanctions personnelles)
L’entretien par la société d’une résidence appartenant au dirigeant sous prétexte que les réunions de travail ou des séminaires s’y déroulent une fois par an
Les factures de taxis ou de restaurant datées de jours non ouvrables et payés par la société (sauf justification particulière)

Quelques conseils

Dès que vous constatez que vous vous êtes rendu coupable d’un abus de biens sociaux, régularisez la situation et le parquet pourra ne pas vous poursuivre.

Etre de bonne foi n’est pas suffisant, encore faut-il pouvoir justifier que la dépense a été engagée dans l’intérêt de société ;

indiquez toujours sur les factures de restaurants le nom de vos invités, ainsi que celui de leur société,
prenez des photos lors des réceptions que vous organisez aux frais de la société pour recevoir des clients à votre domicile,
gardez une trace matérielle (rapport de mission, fax, etc.) du travail effectué par vos proches lorsqu’ils sont rémunérés par l’entreprise sans être présents au quotidien,
lorsque vous voyagez, conservez tous les documents susceptibles de prouver que vos déplacements avaient un but professionnel (fax de vos correspondants locaux, carte de visite, etc.), surtout si la visite n’a débouché sur aucun contrat !
n’achetez ou ne vendez pas directement votre voiture à votre société (passez par l’intermédiaire d’un garagiste, cela évitera qu’on vous accuse d’avoir surestimé ou sous-estimé son prix),
rémunérez-vous par des bénéfices plutôt qu’en salaires,