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16/02/2011

LES NOUVELLES NORMES DU CONTRAT COMMERCIAL INTERNATIONAL :« Bref aperçu sur les Incoterms 2010 »

Depuis le 1er janvier 2011, de nouvelles normes régissent le commerce international : les Incoterms 2010.

Les Incoterms n’ont pas un statut de loi, mais jouissent d’une reconnaissance internationale, car les clauses de livraison claires de ce règlement permettent d’exclure d’emblée tout litige entre les partenaires commerciaux.

La croissance continue du commerce international et la complexité grandissante de ce dernier rendent toutefois nécessaire une révision régulière de ces normes.

La huitième version est donc en vigueur depuis le 1er janvier 2011.

En effet, le mot INCOTERMS est une abréviation des termes anglais « INTERNATIONAL COMMERCIAL TERMS ».

Ces directives sont les éléments essentiels du contrat commercial international, de sorte que les parties contractantes qui s'y réfèrent s'imposent plusieurs obligations types.

Dès 1936, la Chambre de Commerce Internationale[1] (CCI) a codifié les usages courants en matière de commerce international et diffusé la première édition des INCOTERMS.

L'évolution des techniques de transport, de manutention, de transmission des données et des pratiques commerciales l'a conduite á les mettre à jour et à les modifier à plusieurs reprises en 1953, 1967, 1974, 1976, 1980, 1990, 2000 et récemment en 2010[2].

Ces normes définissent ainsi les responsabilités et les obligations d'un vendeur et d'un acheteur dans le cadre d’un contrat commercial international, notamment en ce qui concerne le choix du mode de transport, du paiement des frais de manutention et de l'assurance.

Elles précisent également qui du vendeur ou de l’acheteur aura à supporter l’avarie en cas de mauvaise exécution du transport, tout comme les documents, notamment de transport, dus par le vendeur à l’acheteur.

Si la fonction première des INCOTERMS réside donc dans la répartition des frais de transport, sa seconde finalité est bien de définir le lieu de transfert des risques, sa troisième fonction sans doute la plus importante dans le commerce international actuel étant la détermination des obligations de livraison qui incombent en termes de délais au vendeur.

Il en résulte alors qu’il s’agit de normes permettant à l’acheteur et au vendeur de se mettre d’accord rapidement et sans ambigüité aucune sur les modalités de leur transaction, tout en précisant qu’il ne s’agit nullement de définir le moment du transfert de propriété mais bien celui du transfert des risques de transport, des différents frais et de l’organisation du transport.

Avec les récentes innovations liées à la logistique et la généralisation du phénomène de conteneurisation, la CCI a revue et corrigé les normes de commerce en 2010 qui doivent désormais également tenir compte des défis liés à la sécurité du fret et à la nécessité d’utiliser des documents électroniques.

Toutefois, les rédacteurs du nouveau texte ont maintenu la même structure que pour les éditions précédentes.

C’est ainsi que l’on se retrouve toujours avec quatre groupe d’Incoterms :

- Le Groupe E[3] (le vendeur met la marchandise à la disposition de l’acheteur dans les locaux du vendeur),
- Le Groupe F[4] (le vendeur remet la marchandise à un transporteur désigné par l’acheteur),
- Le Groupe C[5] (le vendeur n’assume pas les frais et risques liés au transport),
- Le Groupe D[6] (le vendeur assume les frais et risques liés au transport).

Si le groupage n’a pas connu de changement, les modifications de fond introduites dans la version 2010 pourraient créer des incertitudes chez les opérateurs commerciaux, s’agissant notamment du transfert du coût et du risque de transport.

La principale modification concerne la répartition des normes en Incoterms multimodaux et Incoterms maritimes (I), la réduction du nombre des termes qui passe de 13 à 11 suite au changement opéré sur le Groupe « D » (II) et la confirmation des Incoterms des Groupes « E », « F » et « C » (III).

La nouvelle version des Incoterms a donc introduit tout de même des nouveautés dans la pratique du commerce internationale qui méritent quelques précisions et recommandations (IV).

I- LA NOUVELLE REPARTITION DES INCOTERMS

Les Incoterms 2010 tiennent compte de l'évolution des pratiques du commerce international, de l'émergence des questions sécuritaires avec notamment les attaques du 11 septembre aux USA et de l'adoption du cadre « SAFE »[7].

Dans la nouvelle directive, on retrouve désormais 11 Incoterms classés dans 2 groupes distincts dont 7 Incoterms multimodaux et 4 Incoterms maritimes :

- Sur les Incoterms multimodaux et donc liées à tous les modes de transport, on retrouve les normes EXW[8], FCA[9], CPT[10], CIP[11], DAT[12], DAP[13] et DDP[14].

- Sur les Incoterms maritime et donc applicables au transport maritime et au transport par voies fluviales, on retrouve les normes FAS[15], FOB[16], CFR[17] et CIF[18].

On doit également désormais faire la distinction essentielle « Départ/Arrivée » soit :

- Les Ventes au Départ (VD) avec 8 Incoterms : sur le transport principal, la marchandise voyage aux risques et périls de l’acheteur selon les normes suivantes :

· Incoterms multimodaux – vente au départ : EXW / FCA / CPT / CIP

· Incoterms maritimes – vente au départ : FAS / FOB / CFR / CIF

- Les Ventes à l’Arrivée (VA) avec 3 incoterms : sur le transport principal, la marchandise voyage aux risques et périls du vendeur selon les normes suivantes :

· Incoterms multimodaux – vente à l’arrivée : DAT / DAP / DDP

II- LES CHANGEMENTS INTERVENUS AU GROUPE « D »

Les changements opérés au Groupe « D » concerne principalement la suppression des Incoterms DAF / DES / DEQ / DDU.

En effet, la nouvelle version élimine complètement les Incoterms DAF[19], DES[20], DEQ[21] et DDU[22] qui sont désormais remplacés par deux nouvelles normes[23] : le DAT et le DAP.

1) Sur le DAT[24]

Le DAT se réfère à la livraison au port de destination, dans un terminal précis et après opération de déchargement. Ce nouveau terme qui remplace le DEQ s’applique pour tout mode de transport[25].

Les marchandises sont considérées comme livrées et mises à la disposition de l’acheteur quand elles sont dans / sur le moyen de transport et prêtes à être déchargées.

Dans ce cas, le vendeur assume les risques liés uniquement au transport de la marchandise au port encore appelé lieu de destination.

Concernant le vendeur, ce terme permet lui de s’acquitter de la responsabilité de livraison après le déchargement de la marchandise dans le lieu convenu dans le port ou le lieu de destination où elle est mise à la disposition de l’acheteur.

Ce terme exige le dédouanement de la marchandise à l’exportation et lui fait prendre au vendeur, la charge des coûts et des risques liés au transport jusqu’à l’endroit précisé dans le contrat, l’assurance de transport principal étant également à sa charge.

Quant à l’acheteur, il devra assumer l’obligation de dédouanement de la marchandise à l’import et en prendre livraison.

2) Sur le DAP[26]

Etant donné que le DAT ne peut couvrir toutes les situations, les rédacteurs du texte ont prévu le recours au DAP, au cas où les parties souhaitent désigner un autre emplacement que le terminal.

Ce nouveau terme qui remplace les normes DAF et DDU concerne tous les types de transport.

Les marchandises sont considérées comme livrées quand elles sont déchargées du moyen de transport et mises à la disposition de l’acheteur.

Dans ce cas, Le vendeur assume les risques liés uniquement au transport ainsi qu’au déchargement des marchandises en question.

Le vendeur livre la marchandise lorsque le véhicule de transport est prêt à être déchargé au lieu d’affectation convenu qui peut être un centre logistique, un hangar situé à l’intérieur ou à l’extérieur de l’usine de l’acheteur, soit toute autre adresse spécifique.

Il est donc important que les parties précisent le point dans le lieu de destination en déterminant par exemple le hangar, la porte et même celui qui se chargera de la marchandise.

C’est ce lieu déterminé avec la plus grande précision qui correspondra au point où les risques seront transférés du vendeur à l’acheteur.

Concernant le vendeur, le terme DAP exige qu’il dédouane la marchandise à l’exportation et assume la responsabilité tout comme les risques inhérents à l’exécution du contrat jusqu’à ce que la marchandise atteigne le point de livraison convenu, l’assurance de transport étant à sa charge.

S’agissant de l’acheteur, celui-ci sera responsable de l’accomplissement des formalités douanières pour l’importation, le paiement des droits de douane, des taxes et autres redevances exigibles à l’importation dans le pays de destination au moment de la livraison au point convenu.

III- LA CONFIRMATION DES INCOTERMS DES GROUPES « E », « F » ET « C »

Les Incoterms des Groupes « E », « F » et « C » s’agissant des termes EXW[27], FCA[28], FAS[29], FOB[30], CFR[31], CIF[32], CPT[33] et CIP[34] n’ont pas vraiment connus de modifications fondamentales.

1) Sur le FOB et le FAS

On peut tout de même relever quelques changements s’agissant du terme « FOB » qui dans sa version 2010 ne sera utilisé que pour la marchandise en vrac puisqu’elle n’est plus compatible avec la marchandise en conteneur.

Dès lors, les opérateurs pourraient alors choisir à la place, le « FAS » qui permet de mettre la marchandise à disposition de l’acheteur dans des conteneurs au port d’embarquement désigné le long du navire choisi par l’importateur.

2) Sur la suppression de la notion de bastingage

On peut également souligner que pour les termes maritimes FOB, CFR et CIF, la clause de transfert de risque a été révisée à travers l’introduction d’une nouvelle disposition à la clause « A4 » qui veut que désormais le vendeur ait rempli son obligation de livraison au moment où la marchandise a été placée au bord du navire. Le point de transfert du risque se déplace alors du parapet autour du pont du bateau à un emplacement sur le navire lui-même.

On notera alors que la référence au « bastingage » du navire, dans les Incoterms FOB, CFR et CIF, a été supprimée.

Le transfert des risques n’intervient donc plus au moment où la marchandise a passé le bastingage du navire, mais au moment où celle-ci est « à bord » du navire.

IV- LES RECOMMANDATIONS

Les Incoterms 2010 viennent répondre à la demande des professionnels de simplifier la procédure.

Or, généralement, les opérateurs ont toujours mal choisi leurs Incoterms avec comme conséquence immédiate et directe, le coût toujours plus élevé du transport par rapport à celui de la marchandise.

En réalité, ces normes ne sont qu’un ensemble de clauses contractuelles recommandées par la CCI et doivent de ce fait être adaptés à la nature de la marchandise et surtout à son mode de transport.

Le Choix de la norme doit donc être conditionné par la maitrise de la chaîne logistique.

Plus qu’une simple analyse commerciale, c’est d’un véritable examen juridique dont s’agit.

Il est surtout question de mesurer les risques juridiques liés à la décision qui sera prise par l’opérateur commercial.

Les incoterms ne sont pas des normes figées qui s’imposent automatiquement aux cocontractants qui peuvent les adapter à leur besoin pour les intégrer à leur contrat de vente.

Il semble alors judicieux d’harmoniser les rapports entre « contrat de vente » et « Incoterms » et mieux d’en vérifier la compatibilité avec les autres instruments que sont par exemple « le crédit documentaire » et « l’assurance ».

Le choix de l'Incoterm a des répercussions sur le choix du mode de transport, de l'emballage, de l'assurance, de financement, de dédouanement et de calcul du prix de revient et l'arbitrage se fait essentiellement en faveur du meilleur qui présente un minimum de risque et une meilleure qualité. Il faut alors étudier les avantages et les inconvénients de chaque moyen mis en œuvre par l'importateur.

Depuis le 1er janvier 2010, les opérateurs commerciaux peuvent toujours recourir aux précédentes versions des Incoterms, seul le choix des parties faisant leur loi.

Toutefois, la version utilisée doit systématiquement être indiquée dans le contrat et dans le cas de contraire, seule la version 2010 sera appliquée.

Pour finir, il faut rappeler que la version 2010 des Incoterms a modifié certaines expressions dont les interprétations doivent désormais être précises.

Tout d’abord, l’on ne parlera plus par exemple de « lieu de transfert de risque» mais de « lieu de livraison ».

Il s’agit en effet de distinguer entre le lieu de destination qui est en réalité le lieu où sera établi le transfert physique et matériel de la marchandise vers l’acheteur et le lieu de livraison qui sera celui du transfert du risque.

Ensuite, le terme « Terminal » désigne désormais tout lieu couvert ou non tel un quai, un embarquement, un parc à conteneurs ou un terminal routier, ferroviaire ou aérien.

Enfin, la version actualisée des Incoterms tient particulièrement compte des aspects liés à la sécurité et a établit que la communication électronique est équivalente à la forme papier.

Les nouvelles règles s’adaptent alors à la forte croissance du commerce en ligne et à la dématérialisation des documents.

C’est ainsi que les Incoterms (articles A1 et B1) précisent que les documents électroniques revêtent désormais la même importance que les documents traditionnels si les parties sont d’accord ou lorsque le recours à ces documents électroniques est bien établi.

Reste alors à revenir sur la nécessité pour les partenaires commerciaux de définir contractuellement les conditions de vente en ne se limitant pas au seul énoncé de l’Incoterm, même si la nouvelle révision de 2010 est a saluer, tant elle contribuera sans nul doute à accroître le succès de ces directives dans le commerce mondial.

[1] CCI dont le siège est à Paris
[2] Ces INCOTERMS évoluant avec le temps, les parties qui les utilisent sont invitées par la CCI à toujours faire référence à l’année d’édition de la version qu’ils veulent utiliser
[3] « E » pour « Ex Works » lieu convenu
[4] « F » pour « Free » (franco)
[5] « C » pour « cost » ou « carriage »
[6] « D » pour « Delivered »
[7] Relatif aux normes en matière de sécurisation et facilitation des échanges
[8] EXW : Le vendeur a rempli son obligation de livraison quand la marchandise est mise à disposition dans son établissement (atelier, usine, entrepôt, etc.). L'acheteur supporte tous les frais et risques inhérents à l'acheminement des marchandises de l'établissement du vendeur à la destination souhaitée. Le vendeur n’a pas à charger la marchandise sur un quelconque véhicule d’enlèvement. Ce terme représente l'obligation minimale du vendeur. A utiliser essentiellement dans les échanges nationaux.
[9] FCA : Le vendeur a rempli son obligation de livraison quand il a remis la marchandise, dédouanée à l'exportation, au transporteur désigné par l'acheteur au point convenu. L'acheteur choisit le mode de transport et le transporteur. L'acheteur paye le transport principal. Le transfert des frais et risques intervient au moment où le transporteur prend en charge la marchandise.
[10] CPT : Le vendeur choisit le mode de transport et paye le fret pour le transport de la marchandise jusqu'à la destination convenue. Il dédouane la marchandise à l'exportation. Quand la marchandise est remise transporteur principal, les risques sont transférés du vendeur à l'acheteur.
[11] CIP : Le vendeur a les mêmes obligations qu'en CPT, mais il doit en plus fournir une assurance contre le risque de perte ou de dommage que peut courir la marchandise au cours du transport. Le vendeur dédouane la marchandise à l'exportation.
[12] DAT : Le vendeur à dûment livré dés lors que les marchandises sont mises à disposition de l'acheteur au terminal désigné dans le port ou au lieu de destination convenu. Le vendeur assume les risques liés à l'acheminement des marchandises et au déchargement au terminal du port ou au lieu de destination convenu.
[13] DAP : Le vendeur doit livrer les marchandises en les mettant à la disposition de l’acheteur sur le moyen de transport arrivant prêtes pour être déchargées à l’endroit convenu, si spécifié, au lieu de destination convenu à la date ou dans les délais convenus. Le vendeur assume les risques liés à l'acheminement des marchandises jusqu'au lieu de destination.
[14] DDP : A l'inverse du terme EXW à l'usine, ce terme désigne l'obligation maximum du vendeur. Le vendeur fait tout, y compris le dédouanement à l'import et le paiement des droits et taxes exigibles. Le transfert des frais et risques se fait à la livraison chez l'acheteur. Le déchargement incombe en frais et risques à l'acheteur
[15] FAS : Le vendeur a rempli son obligation de livraison quand la marchandise a été placée le long du navire, sur le quai au port d'embarquement convenu. L'acheteur doit supporter tous les frais et risques de perte, de dommage que peut courir la marchandise. Le terme FAS impose au vendeur l'obligation de dédouaner la marchandise à l'exportation.
[16] FOB : Le vendeur a rempli son obligation de livraison quand la marchandise est placée à bord du navire au port d'embarquement désigné. Le vendeur dédouane la marchandise à l'exportation. L'acheteur choisit le navire et paye le fret maritime. Le transfert des risques s'effectue lorsque les marchandises sont à bord du navire. A partir de ce moment, l'acheteur doit supporter tous les frais.
[17] CFR : Le vendeur doit choisir le navire et payer les frais et le fret nécessaires pour acheminer la marchandise au port de destination désigné. Les formalités d'exportation incombent au vendeur. Le transfert des risques s'effectue au moment où les marchandises sont mises à bord du navire.
[18] CIF : Le vendeur a les mêmes obligations qu'en CFR mais il doit en plus fournir une assurance maritime contre le risque de perte ou de dommage de la marchandise au cours du transport. Les formalités d'exportation incombent au vendeur. La marchandise voyage, sur le transport maritime ou fluvial, aux risques et périls de l'acheteur. Le transfert des risques s'effectue au moment où les marchandises sont mises à bord du navire.
[19] Livraison à la frontière
[20] Livraison à bord du navire
[21] Livraison à quai au port de destination
[22] Rendu droit non acquittés
[23] En réalité, la modernisation du groupe « D » permet aujourd’hui de clarifier les responsabilités tout en éliminant des dispositions qui ne correspondent plus à la réalité. Le terme DAF, seul Incoterm terrestre n’est presque plus utilisé de nos jours
[24] Delivered At terminal (Rendu au terminal)
[25] Il peut être utilisé indépendamment du mode de transport choisi et ce, même quand plus d’un mode de transport est nécessaire
[26] Delivered At Place (Rendu au lieu/point désigné)
[27] Ex Works
[28] Franco Transporteur
[29] Franco le long du navire
[30] Franco bord
[31] Coût et Fret jusqu’au port de destination
[32] Coût, assurance et fret jusqu’au port de destination
[33] Transport payé jusqu’au port de destination
[34] Transport et assurance payés jusqu’au lieu de destination

04/02/2011

L'AVOCAT FACE AU DEFI DES MUTATIONS NORMATIVES ET INSTITUTIONNELLES DU DROIT DES AFFAIRES EN OHADA

Le droit des affaires a été défini par M. PEDAMON comme « une technique de gestion et d’organisation au service de finalités économiques, sociales, politiques et culturelles de l’entreprise »[1].

Pris dans ce sens, le droit des affaires permet d’assurer la mise en place du cadre juridique des activités économiques. Les différentes réformes du droit des affaires se situent dans cette perspective.

Le droit des affaires est aujourd’hui au cœur du vaste mouvement dialectique de mondialisation, qui se traduit par le contournement des Etats et des territoires mais aussi par le renforcement des traits et des cultures propres à chaque nation dont les systèmes juridiques constituent l’une des manifestations majeures.

Il faut rappeler que les cycles de l’évolution du droit des affaires sont particulièrement longs dans tous les pays du monde et cela est sans doute encore plus vrai en Afrique où le rôle du droit et de la réglementation est un facteur essentiel de tout projet à un niveau macro ou microéconomique.

La réglementation du droit des affaires est en mutation un peu partout dans le monde.

En Afrique, nous assistons depuis quelques années à un processus d'harmonisation - voire d'uniformisation - de la réglementation qui s’est solder par la mise en place du droit des affaires de l’OHADA déjà en vigueur dans 16 Etats.

C’est en prenant en compte l’évolution du droit en général et les mutations du droit des affaires en particulier, au cours des dix dernières années que l’on peut raisonnablement imaginer les défis que l’avocat d’aujourd’hui doit relever.

Depuis le XXème siècle, les avocats jouent un rôle majeur dans l’émergence du droit des affaires et dans la montée en puissance des marchés.

Leur rôle a été profondément modifié par plusieurs évolutions récentes qui ont d’ailleurs entraîné une « industrialisation » du droit des affaires.

Jusque dans les années 1990, la qualité d’un chef d’entreprise africain était encore mesurée à sa capacité à comprendre et souvent à se jouer de la réglementation et du droit plutôt qu’à ses compétences en matière économique, financière ou encore de management.

Longtemps considéré par les entreprises comme un mal nécessaire qu’il fallait consulter le moins possible, plutôt que comme un bien, l’avocat est devenu de nos jours l’assistant quasi-indispensable de la majorité des entreprises.

D’ailleurs, les Etats Unis, le Japon et les pays de la communauté européenne, ont tous compris la nécessité de l’intégration de la profession d’avocats dans leurs stratégies économique et commerciale.

L’avocat n’est plus un luxe, mais une nécessité. Il est l’outil juridique indispensable dont une entreprise bien structurée ne peut se passer de nos jours.

Si le droit est aujourd’hui de plus en plus au cœur de la stratégie de l’entreprise, l’avocat est la dynamo de ce droit.

Le métier d'avocat a subi, au cours des dernières décennies, de profondes mutations dont les effets n'ont pas fini de se faire sentir. Globalisation, dérégulation, concentrations et intégrations verticales, révolution numérique et nouvelles technologies, implication croissante des avocats dans le lobbying et le conseil en stratégie des entreprises, émergence de nouvelles disciplines, sont autant de facteurs qui participent d'un processus qu'il n'est pas exagéré de qualifier de métamorphose ou de révolution culturelle.

En effet, face aux mutations économiques, technologiques et sociales auxquelles l’entreprise est quotidiennement confrontée ; face aux défis professionnels que l’entreprise souhaite relever, l’avocat est pratiquement le seul partenaire juridique valable pouvant offrir les garanties indispensables de confidentialité, de compétence, d’indépendance et de responsabilité.

Le rôle de l’avocat a évolué. Désormais plus qu’un plaideur il doit être un conseiller ouvert aux enjeux économiques des entreprises et apte à les aider à réaliser leurs objectifs. De simple spectateur, l’avocat moderne est devenu un conseiller actif et joue de plus en plus souvent un rôle décisif.

Cependant, face à la pression d'une demande de droit des affaires, toujours plus exigeante, à la multiplicité et à la complexité des sources du droit des affaires, à la multiplicité des actes uniformes issues de la reforme OHADA, à un exercice plus délicat et plus contraignant, l'avocat est plus que jamais confronté au défi de l'excellence, à l'impératif de performance, sous peine d'être en déphasage total avec le nouvel environnement juridico-économique qui se met en place.

Face aux mutations du droit des affaires, l’avocat moderne doit faire des business plan, se préoccuper de marketing comme de prix de revient et diriger une entreprise commerciale tout en veillant à perpétuer l’éthique de la profession.

Il doit identifier les risques juridiques, fiscaux, réglementaires et permettre l’optimisation des avantages attendus d’une transaction. Il devient donc un acteur aux côtés de son client, se profilant d’ailleurs comme un partenaire.Mais il doit aussi se profiler sur un marché de plus en plus ouvert et donc concurrentiel. Il s’agit d’être meilleur, plus rapide, plus créatif et moins cher ; il doit apporter par ses conseils une valeur ajoutée et trouver des solutions.

Les mutations normatives et institutionnelles du droit des affaires se sont manifestées par une reforme d’ensemble du droit des affaires en Afrique avec l’élaboration de plusieurs Actes Uniformes afin de garantir la sécurité juridique et, par la mise en place d’institutions telles que la CCJA dans l’optique de garantir la sécurité judiciaire.

Ce que le client souhaite fondamentalement obtenir aujourd’hui de son avocat c’est à la fois une aide dans ses transactions et l’assurance d’un risque juridique identifié et contrôlé.

Le client veut des solutions et non plus simplement un avis qui le laisse seul face aux décisions à prendre. L’avocat doit donc jouer un rôle de guide permettant à son client de contourner les obstacles sans risque et de réaliser ses stratégies d’entreprise.
Les acteurs du monde économique ne sont pas dépourvus d’assistance juridique et ils peuvent généralement compter sur des juristes internes ou sur une expérience pratique importante leur permettant de réduire leurs risques.

Dans ce contexte le client attend de son avocat une valeur ajoutée à sa propre analyse. L’avocat doit donc faire preuve non seulement de connaissances techniques mais aussi d’une excellente compréhension du métier de son client. Ce dernier élément implique la connaissance du secteur d’activité, des contraintes de concurrence, de l’évolution du métier et du marché, etc

L’avocat vit donc un changement inexorable et une accélération exponentielle dans la pratique de sa profession qui ne connaît pas une simple évolution, mais une véritable révolution.

L’impératif de formation - Face au défi des mutations du droit des affaires, l’avocat doit régulièrement mettre à jour l’ensemble de ses connaissances pour être à la hauteur de la mission qui lui sera confiée par son client.

En effet, la particularité du traité OHADA apparaît par l’ampleur de l’intégration communautaire qu’il propose. C’est la première fois qu’est mise en œuvre l’harmonisation des règles juridiques à l’échelle du continent.

Il ne s’agit plus seulement de consacrer la primauté du droit communautaire sur le droit national, mais de la substitution du droit communautaire au droit national ainsi qu’une institution unique de contrôle des différends. C’est donc tout l’environnement juridique et judiciaire des affaires en Afrique qui a été considérablement bouleversé.

Il revient dès lors à l’avocat de prendre la mesure de cette importante mutation en intégrant désormais cette nouvelle dimension du droit des affaires.

L’avocat d’aujourd’hui ne peut plus être un simple technicien du droit, il doit en outre comprendre les rouages de l’économie, de la finance et du management. La complexité des problématiques qui lui sont soumises nécessite qu’il ait une parfaite connaissance des instruments et des mécanismes qui soutendent l’évolution droit des affaires. Il lui revient alors d’accompagner les mutations du droit des affaires.

Pour y parvenir, l’avocat doit impérativement mettre un accent particulier sur sa formation, afin de pouvoir maîtriser au mieux les mécanismes issus des dernières évolutions du droit des affaires.

D’ailleurs, seule une parfaite connaissance et une maîtrise complète des nouvelles normes et institutions permettra de garantir une application efficace du droit des affaires.

Seule une formation adéquate et continue pourrait lui permettre de jouer le rôle qui est le sien dans la mise en place des normes qui régissent le droit des affaires et garantir aux entreprises un accompagnement approprié à leurs besoins.

La nécessité de prioriser la formation au sein de la profession d’avocat ne fait pas de doute. L’adhésion au principe de la formation est déjà la règle de plusieurs ordres professionnels et d’un grand nombre de Barreaux d’Europe et même d’Amérique.

En France par exemple, cet impératif de formation fait désormais partie des obligations mis à la charge de l’avocat, qui est tenue de justifier chaque année d’une vingtaine d’heures de formation.

Il est donc peut être venu le moment pour les différents Barreaux africains, en partenariat avec les universités, de prendre les dispositions nécessaires afin de mettre en place des cycles de formations permettant aux avocats d’acquérir très rapidement, les aptitudes nécessaires pour faire face à une branche du droit en constante évolution.

Si le débat «connaissances vs. compétences» fait rage dans les discours médiatisés, il est important de réaliser à quel point les deux sont intrinsèquement liés dans notre cas. Une grande part de notre savoir nous est acquise, par notre formation antérieure et notre expérience. Une part demeure cependant constamment à être actualisée, peaufinée, adaptée…

Il semble démontré qu’il n’y a pas d’apprentissage sans imagination et que l’intelligence, dite « fluide », opposée à l’intelligence « cristallisée », peut s’exercer à l’école. Il nous appartient donc à nous, Avocats, de mettre notre imagination au service de la conception et de la mise en œuvre de nos programmes de formation pour les adapter avec fluidité à notre très belle profession.

Il s’agira tout simplement à moyen ou long terme, de créer à l’instar de l’ERSUMA, une école capable de fournir aux avocats, l’ensemble des enseignements et formations qui pourront leur permettre d’être à la hauteur de la mission qui est la leur.

Chaque avocat devrait alors avoir accès à des formations variées, qui lui permettraient à la fois d’actualiser son savoir dans son domaine d’expertise, d’acquérir de nouvelles connaissances, d’assurer le développement de ses compétences, de confronter ses questions et ses vues avec celles d’autres participants et des formateurs, et ce, dans n’importe quel domaine droit des affaires.

Le rôle de coordinateur de l'avocat, l'interprofessionnalité et la multidisciplinarité - Face à l'inflation législative, à l'insécurité juridique (qui sévit en particulier en matière fiscale), aux évolutions de la finance, l'avocat doit mobiliser des connaissances toujours plus spécialisées et parfois faire appel à des experts.

C'est pourquoi l'avocat apparaît de nos jours comme un coordinateur, au sens le plus riche du terme comme concepteur de projet. Sa plus-value est faible s'il ne joue qu'un rôle factuel d'intermédiaire entre plusieurs sachants.

Il doit au contraire à la fois concevoir, élaborer et négocier, c'est-à-dire inventer une fonction nouvelle, pour laquelle l'avocat est particulièrement bien placé parce que, par sa culture professionnelle, il sait respecter le secret des opérations et gérer le risque du conflit d'intérêt.

Le coordinateur doit maîtriser intellectuellement le sujet mais aussi animer le groupe des différents intervenants, arbitrer entre eux et assurer le consensus. Le droit apparaît ici comme une technique d'organisation.

En effet la multidisciplinarité consiste pour un avocat ou un cabinet d’avocats à exercer sa profession aux côtés d’autres professionnels en vue d’offrir à des clients, une palette de services la plus large possible exercés de façon intégrée.

C’est donc un effet de synergie qui est recherché, fondé sur une vision commune des besoins des clients et sur une culture de groupe où chacun travaille en fonction des autres dans l’intérêt du client. Chacun des membres constitue un point d’accès aux services des autres.

Face aux mutations du droit des affaires, la multidisciplinarité c’est l’occasion unique pour l’avocat de mieux servir les clients manifestant un besoin de conseils dans des domaines variés, excédant notablement la sphère juridique, et la possibilité pour lui de servir de façon plus proactive et globale ses clients.

Etant donné que les prestations servies en droit des affaires sont élaborées "sur mesure", les risques se trouvent démultipliés et la responsabilité de l'avocat peut se trouver engagée (validité de la rédaction des actes, risques de la recherche de l'optimisation fiscale…). Dans la mesure où l'avocat a une obligation d'information et de conseil.

Des contrats d'assurance peuvent couvrir le risque de mise en cause de la responsabilité civile professionnelle de l'avocat mais il importe aussi de se prémunir en amont en procédant avant tout à un audit juridique et fiscal pour voir les difficultés et fixer les conséquences financières, en faisant ensuite intervenir des équipes pluridisciplinaires d'experts dont la mission sera définie dans une lettre de mission.

En définitive, on peut retenir tout d'abord que l’avocat ne peut donc plus faire l’économie de sa formation face au défi des mutations normatives et institutionnelles du droit des affaires.

Ensuite, cette réflexion a montré les limites, à la fois juridiques et déontologiques, de la démarche qui prévaut en droit des affaires. D'un point de vue juridique, on peut dire que les tribunaux ont évolué et que les juges, y compris ceux de la CCJA, accompagnent assez bien la créativité. La question déontologique renvoie au secret professionnel, en particulier dans le cadre d'un travail avec des professions non réglementées ; d’où les limites de l’interdisciplinarité et de la pluridisciplinarité.

Enfin, la question de la responsabilité rappelle que même si les assurances existent, elles ont cependant leurs limites et que la prudence professionnelle reste une vertu centrale.


[1] M. Pédamon, Droit commercial, Dalloz (Précis) éd. 1994, n°71 p. 59.

02/02/2011

BREVES OBSERVATIONS SUR L'EXECUTION DES SENTENCES ARBITRALES RENDUES CONTRE UN ETAT PARTIE AU TRAITE DE L'OHADA

L’exécution des sentences arbitrales constitue le corolaire d’un arbitrage efficace.

En effet, la sentence arbitrale doit être exécutée pour que la partie qui en bénéficie obtienne concrètement ce qu’elle est en droit d’attendre.

Généralement, les sentences arbitrales sont volontairement exécutées ce qui est conforme à la nature même de l’arbitrage dans la mesure où la partie perdante exécute spontanément la décision de ceux qu’elle a choisi pour la juger.

Or, si les gens du droit avaient accueillies favorablement l’institution de l’arbitrage dans le droit OHADA, force est de constater que de plus en plus l’exécution volontaire des sentences rendues contre un Etat partie au Traité OHADA pose quelques difficultés qui méritent certainement qu’on y revienne de nouveau, soit pour poser les jalons d’une relecture des textes qui la soutendent, soit pour imaginer des mécanismes pouvant permettre de garantir celle-ci.

I- CONSTATS : « Immunité juridictionnelle et sentence arbitrale en OHADA »

Des dispositions particulières de l’alinéa 2 de l’article 2 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit de l’arbitrage, les Etats et leurs démembrements peuvent être parties à un arbitrage, sans pouvoir invoquer leur propre droit de contester l’arbitrabilité d’un litige, leur capacité à compromettre ou la validité de la convention d’arbitrage.

Il est alors tout à fait possible pour les personnes morales de droit public de l’espace OHADA, de conclure des conventions d’arbitrage.

S’il est désormais acquis en OHADA que les Etats, leurs démembrements et émanations peuvent soumettre les litiges qui les opposent au tiers à un tribunal arbitral, toute la difficulté reste celle de l’exécution des sentences arbitrales lorsque celles-ci sont rendues en leur défaveur.

En effet, il faut trouver le moyen de concilier la possibilité qu’on les Etats et leurs démembrements de se soumettre à l’arbitrage et les immunités juridictionnelles dont bénéficient ceux-ci et leurs biens.

Fondée sur le principe universel de l’égalité souveraine des Etats, en vertu duquel un Etat est soustrait à la juridiction d’un autre et ne peut, ni être jugé, ni être saisi dans un autre Etat sans son consentement, les immunités étatiques de juridiction et d’exécution si elles étaient absolues jusqu’à la fin du 19e siècle, sont de plus en plus tempérées pour rendre possible la sécurisation des accords et transactions commerciales entre Etats et opérateurs privés.

C’est d’ailleurs à cette suite qu’a été adopté le 2 décembre 2004, la Nouvelle Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens.

Mais il faut toutefois rappelé que cette Nouvelle Convention n’est que le terme d’une évolution très longue dans la mesure où, le droit positif français et même américain avait déjà eu l’occasion de se prononcer avec netteté sur la problématique de l’immunité de juridiction de l’Etat étranger.

Aux Etats-Unis par exemple, c’est depuis le 21 septembre 1976 que le Foreign Sovereign Immunity Act (FSIA) fixe les conditions de restrictions par les juridictions américaines, des immunités des Etats étrangers.

En France, les juridictions ont eu à maintes reprises l’occasion de se prononcer en faveur d’une restriction des immunités des Etats étrangers.

Dans l’affaire République Islamique d’Iran et OITE contre la Société Framatone et autres, la Cour de cassation française par un arrêt rendu en date du 20 mars 1989 avait affirmé que « si l’immunité d’exécution dont jouit l’Etat étranger (…) est de principe, elle peut toujours être exceptionnellement écartée, notamment lorsque le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit privé (…) »[1].

Toujours est-il qu’il est constant que les Etats parties au traité de l’OHADA ont comme tout Etat, la possibilité de renoncer à leurs immunités de juridiction et d’exécution en acceptant d’être attrait devant les tribunaux d’un pays étranger ou devant un tribunal arbitral et de se voir ainsi appliquer les voies d’exécution forcée.

En acceptant une clause compromissoire dans le cadre d’un accord commercial interne ou même international avec une personne morale de droit privé, l’Etat renonce implicitement à son immunité de juridiction.

En effet, il est admis que la renonciation à l’immunité de juridiction par l’acceptation d’une convention d’arbitrage, vaut renonciation à l’immunité d’exécution, sauf clause contraire[2].

Ramené au champ d’application du Traité de l’OHADA, cette restriction aujourd’hui reconnu à l’immunité de juridiction absolue des Etats souffre quelque peu.

A cet égard, les juridictions de l’espace OHADA se montrent généralement très hostiles à une application restrictive de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public.

L’affirmation de ce principe résulte des dispositions assez pertinentes de l’article 30 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.

D’après ce texte qui réaffirme le principe général de l’interdiction des voies d’exécution et des mesures conservatoires contre l’Etat et ses démembrements, « l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution,

Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu'en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenues envers elles, sous réserve de réciprocité.

Les dettes des personnes et entreprises visées à l'alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d'une reconnaissance par elles de ces dettes ou d'un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l'Etat où se situent lesdites personnes ou entreprises ».

On peut ainsi se rendre compte que dans bien des cas, les tribunaux de l’espace OHADA se sont appuyés sur ce texte pour écarter toute restriction à l’immunité d’exécution absolu des Etats.

Dans une affaire où la Société de Fournitures Industrielles du Cameroun (SFIC) avait pratiqué une saisie attribution sur les comptes de l’Office Nationale des Ports du Cameroun (ONPC) pour le paiement d’une somme de plus un milliard et demi, le Juge a ordonné la main levée sur la base de l’article 30 de l’Acte Uniforme précité[3].

Dans un autre cas où le créancier d’une société étatique nigérienne (IRAN) avait pratiquée une saisie attribution sur les comptes bancaires de cette dernière, la Cour d’Appel de Niamey avait confirmé l’Ordonnance par laquelle le Juge d’Instance par application de l’article 30 susvisé, avait ordonné la main levée de la saisie pratiquée sur IRAN[4].

II- SOLUTIONS EXISTANTES

A- Les restrictions aux immunités juridictionnelles en OHADA

Il est plus qu’indispensable que le juge étatique de l’espace OHADA fasse une application de l’article 30 suscité dans une logique compatible avec l’objectif de sécurisation juridique et judiciaire des activités économiques en OHADA.

En effet, l’alinéa 2 de l’article 2 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit de l’arbitrage en donnant la possibilité aux personnes morales de droit public de l’espace OHADA, de conclure des conventions d’arbitrage, les autorise dans le même temps, à renoncer à leur immunité de juridiction.

Si la conclusion d’une convention d’arbitrage par une personne morale de droit public vaut renonciation à son immunité de juridiction et qu’il est constant qu’en règle internationale, la renonciation à l’immunité de juridiction emporte, sauf convention contraire, renonciation à l’immunité d’exécution, alors, les Juges de l’espace OHADA doit pouvoir restreindre l’immunité d’exécution des personnes en cause lorsque celles-ci pour échapper à leurs engagements sollicitent le bénéfice de l’article 30 susvisé.

D’ailleurs, ce fût le cas dans une espèce où une société de droit camerounais dénommée African Petroleum Consultants (APC) avait obtenu contre la Société Nationale de Raffinerie (SONARA) camerounaise, une sentence arbitrale rendue à Londres en date du 17 avril 2002, condamnant cette dernière à lui payer près de 3 millions de dollars américains et avait pratiquée une saisie attribution des créances de celle-ci sur la société SHELL Cameroun S.a en sa qualité de tiers-saisie sans que le débiteur ne puisse bénéficier des dispositions de l’article 30 susvisé qu’il invoquait pour s’opposer à l’exéquatur de la sentence arbitrale[5].

Dans un autre cas, la société COMMISIMPEX avait obtenu contre l’Etat congolais et la Caisse Congolaise d’Amortissement, une sentence arbitrale CCI en date du 3 décembre 2000, condamnant ces derniers à lui verser diverses sommes d’argent au titre de plusieurs marchés et avait obtenu du Président du Tribunal de Commerce de Brazzaville la fixation du montant total de sa créance. Il ressort explicitement de l’Ordonnance rendue que « (…) le tribunal relève par ailleurs, que la République du Congo et la Caisse d’Amortissement ont renoncé à leurs immunités de juridiction et d’exécution (…) »[6].

Il en découle qu’une restriction à l’immunité juridictionnelle pourrait être obtenu si les juridictions de l’espace OHADA font une interpénétration de l’article 30 susvisé en conformité avec les objectifs assignés par le législateur aux différents Actes Uniformes s’agissant de la promotion des investissements mais aussi et surtout de la sécurisation juridique dans les transactions commerciales avec les Etats partie de l’OHADA.

B- La compensation

Au cas où l’immunité de juridiction est appliquée sans restriction aucune par les Juges de l’espace OHADA, le législateur a prévu néanmoins, la possibilité d’une exécution des sentences arbitrales rendues, par le truchement de la compensation.

Il ne fait aucun doute que les personnes morales de droit public tout comme les entreprises publiques dans le territoire couvert par l'OHADA échappent encore à l'exécution forcée et aux mesures conservatoires.

Le législateur communautaire, probablement édifié sur la fragilisation du droit de créance et par suite de la dévalorisation du titre exécutoire, du risque d'injustice à laquelle devait fatalement aboutir cette situation, le créancier n'ayant pas obtenu le paiement spontané de la part de son débiteur que l'immunité d'exécution protège, a entendu devoir tempérer les conséquences de l'immunité d'exécution.

Désormais, les créanciers ne sont plus totalement désarmés face aux immunités d'exécution des personnes morales de droit public. Ils peuvent par exemple invoquer contre elles la compensation pour des créances certaines, liquides, exigibles et réciproques.

Il est prévu à l’alinéa 2 de l’article 30 de l’Acte Uniforme susvisé que : les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu'en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenues envers elles, sous réserve de réciprocité ».

Cette autre solution bien que louable soulève néanmoins quelques difficultés quant à son régime juridique.

En effet, l’alinéa de ce même texte prévoit que « les dettes des personnes et entreprises visées à l'alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d'une reconnaissance par elles de ces dettes ou d'un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l'Etat où se situent lesdites personnes ou entreprises ».

Il en ressort qu’hormis le fait que la dette doit être certaine, liquide et exigible, la compensation n’est envisageable qu’à la condition indispensable de reconnaissance expresse de celle-ci par les personnes morales de droit publique dès lors qu’elle ne résulte pas d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’Etat où se situe les dites personnes.

Toutefois, une autre difficulté pourrait subsister en rapport avec la forme et le moment de cette reconnaissance que doit donner la personne morale de droit publique.

III- SOLUTIONS ENVISAGEABLES

En réalité, la solution tirée de la compensation prévue par le législateur communautaire est très peu aisée dans sa mise en œuvre de sorte qu’il serait judicieux de trouver des solutions alternatives qui puisse permettre d’exécuter sans grande difficultés, les sentences arbitrales surtout lorsque celles-ci sont rendues contre les Etas et leurs démembrements.

A- L’application de la Nouvelle Convention des Nations Unies sur le droit OHADA

L’alinéa 2 de l’article 2 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit de l’arbitrage en donnant la possibilité aux personnes morales de droit public de l’espace OHADA, de conclure des conventions d’arbitrage, les autorise dans le même temps, à renoncer à leur immunité de juridiction.

Après avoir réaffirmé le principe de l'immunité d'exécution, cette Convention prévoit en ses articles 17, 18 et 19 la possibilité pour les Etats de renoncer à celle-ci tant en ce qui concerne les mesures conservatoires qu'exécutoires par une convention d’arbitrage ou un contrat écrit s’agissant des mesures et contraintes contre les biens d’un Etat en relation avec une procédure devant un Tribunal d’un autre Etat.

Ces dispositions de la Nouvelle Convention des Nations Unies consacrent en principe une règle antérieurement admise en droit international.

En effet, un Etat peut renoncer au bénéfice de son immunité de juridiction en acceptant une clause d’arbitrage par un Etat étranger. L’on considère que cette acceptation vaut renonciation de l’Etat à son immunité de juridiction.

L’Etat a également la faculté de renoncer à son immunité d’exécution tant, en ce qui concerne les mesures conservatoire ou provisoires que s’agissant des mesures d’exécution.

En principe, l’immunité de juridiction n’a aucun sens devant les arbitres, même si on lui accorde une certaine importance devant le Juge étatique également compétent pour accorder l’exéquatur.

Reste alors à ce que l’ensemble des Etats partie de l’OHADA adhère à ce nouvel instrument juridique en tant qu’acteur du commerce international, toute chose qui permettrait alors l’exécution d’une sentence arbitrale rendu contre un Etat lorsque celui-ci a expressément renoncé à son immunité d’exécution en acceptant une clause d’arbitrage.

B- Les astreintes

L’on pourrait également suggérer de compléter l’Acte Uniforme de l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution par une disposition prévoyant des voies d'exécution spécifiques contre les personnes morales de droit public comme tel est le cas en France avec la loi N° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public, avec la possibilité de procédure de contrainte spécifiques quant aux condamnations pécuniaires et générale s’agissant de l'astreinte administrative.

C- La relecture de l’article 30 de l’AU portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution

Dans sa rédaction actuelle, il ne fait aucun doute que l’article 30 de l’Acte Uniforme susvisé empêche toute restriction de l’immunité d’exécution dont jouissent les Etats partie de l’OHADA, de sorte qu’en ayant même accepté une convention d’arbitrage, un Etat partie de l’OHADA peut invoquer le bénéfice de ce texte chaque fois que l’exécution se fera dans l’espace OHADA.

Or, il serait irréaliste de croire que le Juge étatique OHADA abandonnera dans l’absolu l’application de l’immunité d’exécution des Etats et de leurs démembrement telle que ressortissant de ce texte.

On pourrait alors dans un premier temps envisager que les différents Gouvernements de l’espace OHADA prescrivent aux Tribunaux une application de l’article 30 susvisé dans un sens compatible et conforme avec les objectifs du législateur de l’OHADA quant à la sécurisation des transactions et accords commerciaux internationaux qui en réalité devraient contribuer au développement des investissements et des activités économiques.

Il s’agirait surtout d’une application de l'immunité d'exécution dans un sens plus compatible avec le droit OHADA en recherchant par tous les moyens à restreindre la portée de l'immunité d'exécution lorsque la saisie est pratiquée sur des bien affectées à une activité industrielle ou commerciale, celle-ci relevant des règles du droit privé.

Dans un second temps, ce dispositif devrait se poursuivre pour se traduire finalement par une relecture ne serait ce que partielle de l’article 30 susvisé par le Conseils des Ministres de l’OHADA.

C’est le lieu de rappeler que la Nouvelle Convention des nations Unies tout comme le Traité instituant l’OHADA ont pour objectif commun la promotion des investissements et des activités économiques.

Dès lors, il pourrait s’agir tout simplement d’abonder dans le sens de la Nouvelle Convention des Nations Unies pour d’une part réaffirmer le principe de l’immunité de juridiction et d’exécution des Etats et de leurs démembrements, mais d’autres part, préciser les exceptions y liées en précisant par exemple que l’Etat qui accepte une convention d’arbitrage accepte par la même occasion de perdre les immunités dont il est question.

D- La garantie documentaire contractée par l’Etat

Il est tout aussi envisageable dans le cadre de transactions commerciales internationales avec acceptation d’une convention d’arbitrage entre les parties, de prévoir une garantie bancaire payable sur présentation de la sentence arbitrale résultant d’une procédure arbitrale.

Dans cette hypothèse, la garantie bancaire sous la forme d’une garantie documentaire visera à assurer de manière effective, le paiement des sommes auxquelles aurait été condamné le colitigant donneur d’ordre à l’issue de la procédure arbitrale envers le bénéficiaire.

Pour restreindre donc l’immunité d’exécution ressortissant de l’article 30 susvisé, l’Etat qui contracte avec une entreprise de droit privé pourrait très bien non seulement en acceptant une clause compromissoire contracter une garantie bancaire qui serait consentie par une banque au profit du cocontractant et même le faire contre garantir par une autre banque.

Ce fût par exemple le cas dans le cadre d’un contrat de fourniture de matériels et d’équipements conclu entre une société française - fournisseur (ITEM SA) et une société mauritanienne – acquéreur qui contenait une clause compromissoire et prévoyait qu’ITEM SA (fournisseur) devait contracter une garantie bancaire au profit de la société mauritanienne (acquéreur) en cas d’éventuelle condamnation pour défectuosité du matériels livré par ITEM SA (fournisseur). Cette garantie était stipulée payable sur présentation de la sentence arbitrale rendue contre la société française alors donneur d’ordre[7].

E- La garantie de bonne exécution

Il est également envisageable la possibilité de mettre en place une garantie de bonne exécution stipulée payable sur présentation d’une sentence arbitrale devenue définitive au cas où le donneur d’ordre ne respecte pas les obligations lui incombant dans le cadre du contrat de base.

Ce fût le cas par exemple dans le cadre d’un contrat pour lequel l’administration irakienne avait confié à un consortium de sociétés nord-américaines la réalisation du système d’égout de la ville de Bassora[8].

Il est donc possible de mettre en œuvre une garantie sur présentation de la sentence arbitrale, même s’il faut souligner que des difficultés pourraient survenir au cas où les caractères que devraient présenter la sentence ne sont pas définis avec clarté. Des précisions sur le dispositif de la sentence et sur son efficacité immédiate sont nécessaires en dépit d’un recours en annulation tel que prévu par les articles 25 et suivants de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit de l’arbitrage.

Il serait judicieux que les parties précisent en outre si la sentence rendue en faveur du bénéficiaire de la garantie doit être assortie de l’exequatur provisoire ou non, même si la Cour d’appel de Paris avait jugé dans un de ses arrêts que dans de telles conditions, en cas de silence de la convention de garantie sur ce point particulier, le garant ne pouvait subordonner son paiement à une décision d’exequatur en France[9].

Toute la question resterait alors celle de savoir si l'efficacité de la sentence arbitrale dans le cas spécifique de la mise en œuvre de la garantie bancaire pourrait résister à une éventuelle invalidation de la sentence résultant d'un recours en annulation intentée par l’Etat ?

En réalité, le droit de créance du bénéficiaire sur son colitigant ne repose que sur la sentence rendue en sa faveur, de sorte que l'invalidation de celle-ci aurait donc pour effet immédiat d'éteindre la créance du bénéficiaire. Dès lors, l'efficacité de la garantie étant également conditionnée par l'existence de la sentence servant de fondement à la créance du bénéficiaire, cette garantie serait rendue caduque par l'invalidation de la sentence, ce qui placerait le bénéficiaire dans une position d'enrichissement sans cause et l'obligerait sans doute à restituer le paiement effectué au titre de la garantie au garant.

L’efficacité recherchée ne pourrait donc enfin être consolidée que par la mention d'une renonciation conjointe des différentes parties à toutes voies de recours contre la sentence arbitrale, ainsi qu'un engagement réciproque et ferme de l'exécuter convenablement.

A notre sens, il semble alors qu’il faille envisager une autre solution basée cette fois sur la mise place d’une assurance pour garantir l’exécution des sentences arbitrales rendues contre les Etats partie de l’OHADA.

F- La mise en place d’une assurance garantissant l’exécution des sentences arbitrales rendues contre l’Etat

Dans cet autre schéma, il s’agit de mettre en place dans le cadre de chaque contrat avec clause compromissoire accepté par l’Etat, une assurance par laquelle ce dernier s’engage à payer les primes et qui permettra au cas où une sentence arbitrale sera rendue contre lui, de faire face au règlement du montant de la condamnation.

En effet, le versement du montant de la condamnation par l’assureur doit se faire sur présentation de la sentence arbitrale devenue définitive.

A l’exemple des mécanismes déjà mis en place par le COFACE ou encore le DUCROIRE en Belgique, il sera surtout question pour les Etats de l’espace OHADA qui souhaitent accepté une convention d’arbitrage, de souscrire auprès de compagnie d’assurance spécialisée, des assurances qui couvriront les montants de condamnation des sentences arbitrales rendues contre eux et qui seront payable sur simple présentation de la sentence arbitrale devenue définitive.





[1] Cass Civ 1re Ch civ, 20 mars 1989
[2] Cass Civ, 9 juill 1992, (Norbert Beyrard c/ Rép de Côte d’Ivoir) ; Rev arb 1994. 133 / Cass Civ, 1re Ch, 6 juin 2000 (Sté Creighton LTD c/ Ministère des Finances de l’Etat du Quatar) ; Rev Arb 2001. 130 / C A paris 1re Ch, 12 déc 2001 (Sté Creighton LTD c/ Ministère des Finances de l’Etat du Quatar) ; Rev Arb 2003, n° 2. 417
[3] Douala, Ord n° 339 du 3 nove 1998 ; Rev Cam Arb n° 18, éd Juill-aout-sept 2002. 14
[4] Niamey, Arrêt n° 105 du 13 juin 2001 (inédit)
[5] TGI Buea, décision n° HCF/141/OM/2001-2002 du 13 août 2002 (décision inédite)
[6] TCom Brazaville, Ord du 09 nov 2001 (décision inédite)
[7] C.A. Paris 1ère ch. 10 nov. 1988 D.1990, Somm. .p. 201, Vasseur
[8] C.A. Paris 15e ch. 17 sept. 1991, D.1992, Som. 241, Vasseur
[9] C.A. Paris 1ère ch. 10 nov. 1988 D.1990, précité